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RENÉ PERROT, l’Expo à voir au MUCEM jusqu’au 10 mars 2024

Au-delà de l’homophonie, savez-vous quel est le point commun entre Perrault, le conteur, et Perrot, l’artiste graphique ? Vous pourriez répondre « l’art », et ce serait juste… quoiqu’un peu facile, et puis, on attend mieux des lecteurs de ToutMa ! Plus spécifiquement, ces deux artistes français se sont distingués dans leurs disciplines respectives par une démarche quasi ethnographique, faisant le tour de France des campagnes, l’un cherchant à fixer avant l’oubli les contes de la tradition orale, l’autre à immortaliser des scènes de vie typiques sur le point de disparaître, dans la première moitié du XXe siècle. Cet hiver, le Mucem, qui a lui aussi vocation d’archiviste, sort de son stock les pièces que nous devons à René Perrot, à qui il consacre une exposition rétrospective d’ampleur.

L’horreur de la guerre

Né dans le Doubs en 1912, René Perrot est encore enfant lorsque son père est envoyé sur le front allemand, et il a tout juste 27 ans lorsqu’il est lui-même mobilisé par l’armée française, en 1939. Diplômé des Beaux-Arts de Dijon, mais aussi de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, le jeune homme, qui a commencé une carrière d’affichiste, emmène dans son paquetage de soldat du matériel de linogravure grâce auquel il documente sa vie quotidienne. Ses « albums de guerre », dans lesquels il dénonce l’absurdité du conflit, mettent en rapport dans un esprit de contraste tragicomique des gravures de soldats et des images de fête, de cirque, inspirées de sa vie montmartroise. Il y a déjà, dans cette partie terriblement touchante de son œuvre, une dimension fortement documentaire teintée de sensibilité. C’est d’ailleurs à un autre artiste soldat (de 14-18, celui-ci), Guillaume Apollinaire, que renvoie le titre de l’exposition : « Mon pauvre cœur est un hibou ». Dans son petit poème en quatre vers, Apollinaire dresse un parallèle entre son cœur et la pratique ancestrale qui consistait à clouer hiboux et autres chouettes à la porte des granges pour conjurer le mauvais sort. Témoin de ce genre de scène dans son enfance, Perrot reprend le vers du poète à son compte en 1963, dans un tissage représentant un grand-duc aux saisissants yeux orange. Le motif du rapace nocturne, par trop souvent persécuté par les hommes, est d’ailleurs prépondérant dans son œuvre.

Photo de gauche : Mon pauvre coeur est un hibou, 1963 © Adagp, Paris 2023, Photo Nicolas Roger
Photo de droite : © René Perrot et sa chouette chevêche Grisette, vers 1958

Le pacifiste mélancolique

À vrai dire, il n’est pas le seul artiste de sa génération (par chauvinisme on pense à Giono) à aller chercher consolation, tendresse et innocence dans la nature. Une tendance qui ne va pas sans susciter quelques malentendus. Proche des milieux socialistes et pacifiste convaincu, Perrot n’a bien entendu aucune accointance avec le régime de Vichy. Pourtant, démobilisé en 1940, il intègre Jeune France, une organisation pétainiste qui entend embaucher de jeunes artistes au chômage pour les éloigner des milieux parisiens et les encourager à chanter les louanges du terroir. L’association est rapidement dissoute, lorsque le secrétariat national de la jeunesse se rend compte que ses artistes sont pour la plupart hostiles au régime et qu’elle est infiltrée par des gaullistes. En délicatesse avec le pouvoir collaborationniste, protégé par Georges-Henri Rivière, Perrot intègre en 1942 le Chantier 1810 du Musée national des arts et des traditions populaires, qui envoie des artistes dans les campagnes reculées pour documenter la vie rurale. On doit à cette période la plupart de ses gravures (aquarelles, gouaches, dessins…). Métiers, traditions et techniques artisanales sont représentés avec un réel souci du détail, mais aussi une coloration mélancolique. Est-ce parce qu’ils entonnent leur chant du cygne ou parce que Perrot est toujours habité par les affres de la guerre ? En tout cas, on note que la suite de son œuvre voit progressivement disparaître les figures humaines, remplacées petit à petit par les plantes et les animaux. Signe, sans doute et on l’espère tout au moins, d’une paix enfin retrouvée. Dans la dernière partie de sa carrière, marquée par le travail de la tapisserie (avec d’ambitieuses commandes d’État), c’est comme si, lassé des hommes, l’ethnographe s’était fait naturaliste.

MUCEM JUSQU’AU 10 MARS 2024
Esplanade du J4
www.mucem.org

Photo en Une : Dans un fossé de mon village, © Adagp Paris 2023, Collection du Mobilier National, Philippe Sébert