Maryam Kaba et l’amour du mouvement
Parfois, c’est quand elle ne vous a pas fait de cadeau que vous êtes à même de comprendre, paradoxalement, que la vie est un don en soi. Maryam Kaba, chorégraphe, danseuse et ex-championne de France de GRS, fait partie de ces apôtres de la résilience. Non contente de s’être reconstruite après un drame intime, qu’elle raconte dans l’une de ses créations coproduites par le Ballet national de Marseille, elle a décidé de libérer les femmes des carcans imposés à leur corps. Par la danse, elle leur montre la voie de l’affirmation de soi, les entraînant dans son sillage au rythme de sonorités africaines libératrices, affirmant que c’est par le corps qu’on guérit l’esprit, mais aussi, que c’est toujours avec les autres, par la force du collectif, qu’on avance. Portrait d’une « artiviste » inspirée.
Une danse fédératrice
Quand on regarde les réseaux sociaux et les vidéos de workout de Maryam Kaba, on se demande si, tout de même, ce concept d’Afrovibe ne serait pas simplement une énième tendance fitness et bien-être. Alors… oui et non. Évidemment, le concept relève en partie d’une pratique sportive, sollicitant des groupes musculaires ciblés et mettant en émoi la cardio des participants. Il faut dire que c’est à partir du sport que l’ex-gymnaste a construit son parcours. Mais à y regarder de plus près, davantage qu’une mode, c’est un retour aux sources de la danse comme art collectif. On se souvient d’Antonin Artaud et de son obsession pour les danses balinaises, pinacle d’une forme de spectacle halluciné, où la « mathématique des corps » produit une forme de mystique. Avec Maryam Kaba, on est quelque part par là, entre la salle de sport et une pratique collective spirituelle, alliance des corps meurtris (ou tout du moins contrits), qui par une mécanique pensée autour des mouvements du bassin, de la région sacro-iliaque et des hanches, engage les danseurs et les danseuses dans une joie communicative. « Ce qui est important pour moi, c’est que les gens se sentent bien dans leur corps, dans leur tête. C’est l’acceptation de soi », nous confie la chorégraphe. D’ailleurs, même si elle donne des cours par niveau, ce n’est pas la performance qui l’intéresse : tout le monde (hommes y compris) est bienvenu dans dans ses ateliers et autres workshops.
L’intime universel
Si cette notion de transmutation par le mouvement est essentielle dans le travail de Maryam avec les publics, elle est également très présente dans les œuvres créées à l’occasion de sa résidence artistique au BNM. C’est le ballet qui l’a contactée, dans le cadre de sa mission d’action culturelle, et qui lui a fait prendre conscience de la dimension artistique de son travail : « Au niveau de ce que je produisais sur scène, c’était beaucoup d’impro, il n’y avait pas de chorégraphie préfaite. C’est le BNM qui m’a donné un impulse et l’envie de me lancer dans une création solo, mais ça s’est fait naturellement, parce que les danseurs que j’ai rencontrés m’ont donné le bagage nécessaire pour créer autour de mes valeurs. Je n’étais pas toute seule. » Son premier spectacle, Entre mes jambes, présente, dans une scénographie dépouillée, le viol qu’elle a subi à l’âge de 6 ans et la manière dont la gymnastique rythmique d’abord, puis la danse afro-brésilienne par la suite l’ont aidée à canaliser son traumatisme, avant de lui permettre de « déverrouiller » son corps et de se le réapproprier. Si le thème est difficile, Maryam l’affirme : « On peut parler de tout, ça dépend comment c’est amené. Après tout, la communication, c’est la base de l’humanité, et il y a plein de prismes différents pour parler aux gens. » Par la multiplication des modes d’expression (vidéo, récit, langage du corps), elle parvient à émouvoir le public, donnant à son histoire intime une résonnance universelle : « Ça touche bien sûr les femmes, mais ça va au-delà de la sororité. »
Engagements collectifs
Profondément généreuse de son temps et de son énergie, Maryam est de toutes les collaborations et de tous les collectifs, notamment celui de La Famille Maraboutage qui agite depuis quelques années les nuits marseillaises. Il s’agit pour l’artiviste d’inscrire sa pratique de la danse dans une sphère plus large, plus politique et solidaire, promouvant des valeurs d’inclusion et de tolérance. Son prochain spectacle, d’ailleurs, Danser c’est vivre, coécrit avec Marie Kock, mettra en scène une vingtaine de danseuses amatrices rencontrées à la Maison des Femmes de Marseille, lieu d’écoute et de soin pour les femmes victimes de violences. « Mettre les corps en scène et les faire exister de façon positive, ça peut être un moyen de les faire aller mieux », nous dit humblement la chorégraphe. Devenue facilitatrice entre les institutions et les sphères underground, Maryam rêve d’organiser des événements avec la scène ballroom marseillaise et, pourquoi pas, « un carnaval du 14 juillet qui présente la France de la diversité, la France d’aujourd’hui, parce que ça doit être une force, tous ces mélanges ! ». On a hâte de voir ça !
www.ballet-de-marseille.com
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Instagram : @maryamkaba