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L’ENGAGEMENT, quand la photographie prend le pouls de notre époque

Cette année encore, en association avec les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, la fondation Manuel Rivera-Ortiz présente une exposition qui tutoie les sommets du 3e art. Avec L’Engagement, on plonge au cœur du rôle social du photographe dans un monde en crise, que celle-ci soit technologique, humaine, identitaire, politique ou encore écologique.

Militantisme photographique

Connu pour avoir couvert le mouvement des droits civiques aux États-Unis, le photographe Charles Moore, à qui l’on doit le célèbre cliché de l’arrestation de Martin Luther King à Montgomery, écrit dans son ouvrage Powerful Days : « La photographie peut changer les choses, elle le fait. Des images fortes d’événements historiques ont un véritable impact sur la société. » À ce titre, l’exposition présentée par la fondation vaut en elle-même engagement, donnant à voir au grand public des réalités difficiles à regarder et souvent passées sous silence par les médias. C’était le sens même de l’engagement de Camille Lepage (à laquelle il sera rendu hommage), déterminée à informer l’opinion sur la vie des populations confrontées à la guerre dans l’indifférence générale, notamment en Centrafrique où, il y a dix ans déjà, elle a été assassinée par des miliciens dans l’exercice de son travail. Plus proche de nous (2019), avec le projet « How Was Your Dream? » Thaddé Comar photographie à Hong Kong le mouvement de contestation civile contre le gouvernement pro-chinois. Il s’inscrit ainsi dans la grande tradition du photoreportage de manifestation, s’intéressant tout particulièrement aux techniques déployées par les manifestants pour contourner l’arsenal technologique et policier dont dispose l’État (géolocalisation, reconnaissance faciale, armes soniques…). La coloration dystopique de ce travail pourtant documentaire ne le rend que plus saisissant. De leur côté, Anas Aremeyaw Anas, Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen explorent avec E-Waste le phénomène des décharges de déchets électroniques au Ghana dans un reportage qui met en évidence les ramifications d’un « trafic 2.0 » mondialisé.

Photo de Gauche : © Comar Thaddé, How Was Your Dream, Photo de Droite : © Camille Lepage, Centrafrique

Approches multiples

Certaines parties de l’exposition mettent en avant des œuvres moins directement documentaires ou jouant davantage avec la notion de fiction et de fantasme. C’est le cas de Passion de Jun-Jieh Wang, qui nous rappelle que l’engagement des artistes, lorsqu’il est esthétique, n’en est souvent pas moins politique. Dans son œuvre ardente et profondément camp, le Taiwanais s’inspire ouvertement de Querelle (1982), le dernier film du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, drame polémique inspiré de Jean Genet, mettant en scène les rapports d’amour/haine, d’attraction/répulsion entre deux marins. Grâce à cette citation, Jun-Jieh Wang explore avec humour et emphase les questions du désir et de la violence dans une vision bouffonne et néanmoins vibrante de l’humanité, marquée par une polychromie saturée. Dans un registre différent, Diego Moreno joue lui aussi sur l’outrance, retouchant des photos de ses archives personnelles et familiales, y incorporant des figures sataniques, vues comme positives, dans une critique sans concession de son éducation catholique (Malign Influences). D’autres projets mettent en rapport, sur une thématique commune, différents artistes internationaux qui élaborent canevas interprétatifs et autres réflexions existentielles graphiques, laissant entrevoir aussi bien leurs singularités que des intimités artistiques, qui dessinent en toile de fond tout le liant de l’exposition. Car en ligne de fuite se pose finalement la question de notre place et de notre engagement personnel dans l’enchevêtrement de ces stupéfiantes images du monde. À l’heure où « l’immersion du spectateur » est devenue un argument de marketing et un élément de langage facile, l’exposition de la fondation Rivera-Ortiz recentre le débat : la question n’est pas celle de l’immersion mais bien celle de l’implication, étape sine qua non… de l’engagement !

DU 1ER JUILLET AU 29 SEPTEMBRE
Fondation Manuel Rivera-Ortiz, 18 rue de la Calade, Arles
mrofoundation.org

Photo en Une : © Wang Jun Jieh Passion