Julie LAGIER, rêves éveillés
La photographe autodidacte sort ce mois-ci un livre, Narsismik, et prépare une exposition, chez elle, à Marseille. Son univers onirique a convaincu le petit monde de l’art et un large public. Artiste complète, Julie s’illustre principalement par ses photos mais ne se refuse aucun médium. Sensibles, poétiques, très « léchées », parfois dérangeantes, ses images ne laissent pas indifférent. Elle est aujourd’hui marraine de la fondation sHEART, soutenue par la maison Dior et l’Unesco, qui accompagne de jeunes femmes artistes. Rencontre…
ToutMa : Quel est le thème de votre livre ?
Julie Lagier : J’ai travaillé longtemps à mettre en image les cauchemars que je faisais depuis gamine, en les rendant plus acceptables, plus doux, en passant même parfois par l’humour. Ça fait plus de dix ans que je fais de la photo et j’ai exposé dans plusieurs villes (notamment à Paris, au Carrousel du Louvre). Le livre représente une bonne partie de ces années.
TM : Quand on voit vos photos, on pense aussi bien à l’univers de Tim Burton qu’aux sculptures de Giacometti… Ce sont des influences ?
JL : Quand tu es touchée par un artiste et que toi-même tu crées, il y a automatiquement une « trace » qui en ressort, une forme, une tonalité, une matière… Évidemment les rêves renvoient au surréalisme mais, par exemple, j’adore Modigliani et on le retrouve dans mes peintures alors que je ne l’ai pas cherché ! En photo, je me situe entre le féérique de Tim Burton et le symétrique de Wes Anderson. Mais ça me plaît que vous évoquiez Giacometti car j’ai aussi envie de me mettre à la sculpture et j’aime étirer les formes et le temps…
TM : Après la photo, il y a donc la peinture ?
JL : Les deux techniques se complètent ! La peinture m’est venue spontanément et je n’en suis qu’au début… J’explore différents modes de création et je pense de plus en plus en termes de « lumières, sons, installations, performances… »
Photo du Milieu : © Nèle Grizard
TM : Que pensez-vous de l’intelligence artificielle ?
JL : Ah ! Je ne vais pas forcément me faire des copains (rires)… L’IA est un moyen puissant pour faciliter beaucoup de choses, mais moi, j’aime le côté organique de la création, toucher la « matière » de mon sujet… La rencontre de l’autre me porte. Il ne faut pas confondre « photo » avec « image », mais l’amalgame est facile parce que beaucoup de ce que je vois en IA pourrait se faire en photo ! En revanche, si un artiste utilise l’IA avec un réel parti pris pour créer un univers complètement déjanté ou irréalisable, là, je deviens curieuse.
TM : Parlez-nous du projet Unity. C’est quoi cette histoire de gens qui se mettent tout nus ?
JL : (rires) C’est parti d’une photo organisée dans mon salon à la sortie du confinement. Je souhaitais que le contact prenne toute la place car ce qui m’avait le plus marquée pendant cette période, c’était de ne pas pouvoir toucher. J’ai demandé à neuf personnes, qui ne se connaissaient pas, d’entremêler leurs corps nus et j’ai été saisie par la beauté du moment. Immédiatement, je me suis dit : « La prochaine fois, j’en veux 50 ! » Il a fallu trouver le temps et l’énergie parce que, pour la première fois, j’ai dû me structurer. Avant, je travaillais seule ou en très petit comité, mais cette fois, il fallait que je coordonne une équipe et une logistique inhérente aux projets « en grand ». Ce n’est pas improvisé, il y a des règles et un encadrement précis. La seule impro, et qui n’est pas des moindres, c’est la synergie du groupe qui rend les photos puissantes et qui me permet aussi de ressentir l’adrénaline dont j’ai besoin. Aujourd’hui, j’en suis à mon quatrième shooting de ce projet que j’ai appelé Unity.
TM : Vous en dévoilez des bribes sur Instagram mais tout ça reste très secret…
JL : Oui ! Tout d’abord parce que ce projet est si beau que je ne veux pas le divulguer vulgairement sur un téléphone. Nous sommes envahis d’images que l’on scrolle rapidement… Avant les réseaux sociaux, on pouvait découvrir une expo et avoir un effet de surprise parce qu’on n’avait pas déjà vu le travail de l’artiste en amont… La seconde raison, c’est parce ces shootings sont une performance. Presque 200 personnes y ont déjà participé et je ne veux pas m’arrêter là ! C’est sublime, il y a un effet de groupe, très intense. C’est une expérience particulière de se mettre à nu, de s’oublier, de toucher et d’être touché par d’autres corps… J’ai des témoignages en vidéo et par écrit, certains participants ressortent déstabilisés, émus d’avoir découvert une partie d’eux-mêmes ou d’y avoir lâché « un truc ». Dans cette expérience, j’ai envie de les voir à nouveau se chercher et se (re)trouver dans mes photos, en vrai. J’attends de pouvoir organiser une installation comme je l’imagine et pas seulement une exposition ! J’ai besoin d’une équipe, d’un lieu suffisamment grand pour l’accueillir et de financements ! Avis aux mécènes…
julielagier.fr – Instagram : @julie__lagier
NARSISMIK, 102 pages, Corridor Éléphant Éditions
EXPOSITION DU 1er AU 28 JUILLET au Jardin Montgrand, 35 rue Montgrand, Marseille 6e
Photo en Une : © Nèle Grizard