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LE FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, ou comment l’art contemporain a trouvé chaussure à son pied

Dans l’histoire des politiques culturelles françaises d’après-guerre, le parcours des Frac (fonds régionaux d’art contemporain), qui fêtent cette année leurs 40 ans, a tout d’une parabole sur la détermination. C’est l’histoire d’un Petit Poucet qu’on prend un peu de haut et qui chausse ses bottes de sept lieues avec l’assurance de celui qui n’a pas besoin de douter pour avoir raison, avant de prendre son envol devant les regards médusés des sceptiques.

Une nouvelle façon de « faire musée »

Lancés en 1982, ces « néomusées » de la démocratisation culturelle n’ont pas eu droit aux grandes pompes des inaugurations muséales et des fêtes populaires menées tambour battant sous l’égide de fiévreux solstices. En cette fin de XXe siècle, les régions, on a beau voir leur potentiel, on reste quand même un peu jacobin : centralisme, centralisme, centralisme! À Paris, il y a bien eu le Centre Pompidou, pour ouvrir la voie à l’art contemporain à la fin des années 1970, mais son cadre reste celui, classique, d’un musée avec ses stocks, sa collection permanente et ses expositions ponctuelles. À peine créés, les Frac font au contraire le pari de la mobilité. Les collections, acquises sur la base du flair des agents, donnent dans le nomadisme et sèment hors les murs (dans les entreprises, les écoles, les prisons…) des petits cailloux dont on espère qu’ils guideront le grand public vers l’art contemporain. C’est-à-dire que les Frac ont immédiatement expérimenté ce que d’autres institutions ont découvert avec la pandémie : si on veut décloisonner la culture, il faut aller chercher le public là où il est et sans condescendance. Et ça tombe bien parce que l’art contemporain parle d’actualité, pas besoin donc de se présenter devant les œuvres avec stupeur et tremblement, en soupesant son bagage culturel personnel et en se demandant s’il fera le poids. Muriel Enjalran, directrice du Frac PACA, qui a lancé le fil rouge thématique annuel « Faire société en 2022 », s’évertue d’ailleurs à briser les stéréotypes. « On pense que l’art contemporain est élitiste, nous dit-elle, mais à travers les voies que les artistes utilisent, les médiums et surtout les thématiques qu’ils choisissent, on se rend très vite compte qu’ils nous aident à décoder le monde extrêmement complexe dans lequel on vit. »

Diffuser, soutenir et innover

D’ailleurs les spectateurs en redemandent, comme en témoigne encore Muriel : « Depuis quarante ans, les Frac ont formé le public en étant présents dans des lieux non consacrés à l’art, donc même si l’art contemporain reste à démocratiser, on voit aujourd’hui des générations qui, de fait, commencent à avoir un peu d’école en la matière. »

Portrait Caroline Pozmentier-Sportich (gauche), Portrait Muriel Enjalran (droite)

Caroline Pozmentier-Sportich (présidente du Frac PACA) résume cette originalité de politique culturelle avec une métaphore. Elle se plaît, en évoquant le nomadisme des collections, à définir le bâtiment de la Joliette comme un « vaisseau amiral » qui commande à distance les mouvements de ses troupes sur le terrain. Pour bien se rendre compte du travail de diffusion et de logistique, il faut garder en tête que sur les 1 700 œuvres détenues par le Frac PACA, environ 400 sont exposées à l’extérieur tous les ans. Là où les musées gardent jalousement leurs trésors, les Frac ont dès leur inauguration inscrit dans leur mode de fonctionnement rencontres, mobilité, échanges et même accompagnement des artistes. Chaque Frac, en plus de son travail de diffusion, assure ainsi une mission de soutien et d’innovation grâce à des pôles ressources destinés à épauler les artistes sur des questions juridiques ou artistiques. En outre, ce sont souvent les Frac qui leur assurent leurs premières acquisitions dans le domaine des « collections publiques inaliénables ». Un investissement sur le long terme donc, mais pas une spéculation du genre à pervertir le milieu. Des œuvres de Soulages se sont ainsi retrouvées, par le biais des Frac, exposées dans des lycées. On peine à bien mesurer l’impact que ce genre de rencontre peut avoir sur un jeune esprit…

L’impératif de l’exigence

Mais pour que ça fonctionne et que la « démocratisation culturelle » ne se change pas en « démocratie culturelle » (cette idée qu’en art tout se vaudrait), il convient d’être particulièrement rigoureux sur la programmation et les acquisitions. En ce moment, le Frac PACA expose notamment les travaux d’Ângela Ferreira, qui conte à travers une recherche plastique exigeante comment une radio portugaise d’opposants à la dictature de Salazar s’est retrouvée hébergée dans les années 1960 et 1970… par Radio Alger. En 2023, le bâtiment de la Joliette fêtera son dixième anniversaire tout en préparant une programmation dédiée au sport, en partenariat avec les jeux Olympiques de Paris 2024. De notre côté, on n’est pas loin de croire que, plus que tout autre, les Frac ont trouvé la formule du «rayonnement culturel» que Malraux appelait de ses vœux. La surprise, c’est que son point d’ancrage, plutôt que national, s’avère être régional.

FRAC

20 boulevard de Dunkerque, Marseille 2e

www.frac-provence-alpes-cotedazur.org

PROGRAMMATION

Wilfrid Almendra jusqu’au 30/10/22

Ângela Ferreira jusqu’au 22/01/23

Ghada Amer du 02/12/22 au 26/02/23

en 2023 : 40 ans du Frac PACA,
10 ans du bâtiment conçu par Kengo Kuma

Mais aussi des rencontres, des ateliers, des projets hors champ et des résidences…

© Image en Une : Jclett Terreneuve