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Noémie MERLANT, et la femme prit le pouvoir…

Après Portrait de la jeune fille en feu, Noémie Merlant s’est fait un nom. En septembre dernier, on l’a appréciée dans le rôle d’Emmanuelle sous la direction d’Audrey Diwan. Aujourd’hui, la nouvelle égérie de Louis Vuitton s’accomplit aussi en tant que réalisatrice avec un second long métrage singulier et puissant, Les Femmes au balcon. Ce film, entièrement tourné à Marseille, évolue d’abord dans l’intimité d’une rue puis d’un appartement sur fond de canicule limite anormale… Et enfin, quand on finit par trop étouffer dans ce presque huis- clos, l’histoire se transforme en une folle échappée émancipatrice dans la cité phocéenne sublimement filmée, dévoilant à travers cette course échevelée, le métissage, la vitalité, la force de liberté et de féminité assumée de cette dernière…

ToutMa : Le plan séquence au début du film plante le décor de façon magistrale. Qu’as-tu ressenti en apprenant que ton film était sélectionné à Cannes ?
Noémie Merlant : Quand j’ai su ? Mais j’ai tellement pleuré ! C’est d’une telle force ! C’est une incroyable vitrine sur le monde, un lieu où l’on rencontre des gens géniaux venus de tous les horizons. Je n’y ai que de super souvenirs, déjà en tant qu’actrice, et je connaissais l’émotion qu’on pouvait ressentir dans cette grande salle. Mais quand je suis arrivée avec mon film, surtout dans cette séance de minuit, qui est dingue car les gens vous interpellent spontanément et applaudissent à tout rompre avant même que le film commence, c’était jouissif. Je ne pouvais pas rêver mieux !

TM : Pourquoi cette envie de réaliser et de raconter cette histoire dans un genre inhabituel ?
NM : Même si je n’ai jamais été très littéraire, la création sous toutes ses formes m’a toujours attirée, le dessin, la sculpture… C’est un drame familial qui m’a donné envie de réaliser. Mais le scénario des Femmes au balcon est aussi imprégné de ma fascination pour le cinéma asiatique. J’ai toujours aimé les comédies horrifiques, le fantastique… L’écriture est venue assez naturellement, en plein post #metoo, période où la parole des femmes se libérait. Le joug patriarcal me pesait aussi. À cette époque, je me suis carrément enfuie de chez moi et réfugiée chez Sanda Codreanu, qui vivait avec des amies. Dans ce gynécée, sans regard masculin, je me suis libérée de mon propre corps et des traumatismes vécus qu’on revisitait toutes avec humour aussi… Tout ce vécu-là a nourri le scénario.

TM : Quel lien as-tu gardé avec la réalisatrice Céline Sciamma qui apparaît au générique de ton film ?
NM : Depuis Portrait de la jeune fille en feu, nous sommes restées proches. Le dialogue est ininterrompu. Céline savait que j’écrivais un film. Quand je suis arrivée à plusieurs versions du scénario, je n’osais pas le lui demander mais elle est venue m’offrir son aide spontanément. Elle a adoré me proposer différentes versions. On s’est éclatées à écrire ensemble, à faire et défaire. L’idée, c’était qu’on aille loin, qu’on ose tout puisque ce film parle de liberté… On se devait d’aller jusqu’à la vulgarité, d’oser faire dans le mauvais goût pour encore mieux affirmer cette liberté !

TM : Ne crains-tu pas que l’on considère ce scénario original comme légèrement misandre ? (Les hommes, dans cette histoire, ne sont pas montrés sous leur meilleur jour… le bellâtre torturé, le mari violent, l’amoureux satyriasis, le dragueur collant…)
NM : J’espère qu’on va dépasser cette idée-là parce que c’est du surréalisme en fait ! On est dans le cauchemar et dans l’inconscient, dans les tréfonds de leurs âmes et de leurs chairs. Tous les hommes sont cauchemardesques car le film parle uniquement des femmes et des agressions qu’elles subissent. Il faut y aller à fond ! Ce n’est pas un film où je vais chercher à montrer tous les hommes, encore moins les gentils. Je ne pouvais pas faire dans le politiquement correct ! Le but, c’était vraiment que les hommes se remettent en question, fassent une projection sur eux-mêmes. Et ça fonctionne d’ailleurs ! Souvent, les mecs qui voient le film sont un peu mal à l’aise car ils se disent : « Merde, j’ai déjà fait ça moi aussi, si je suis honnête avec moi-même ! » (rires)… Et du coup, cette scène de viol conjugal leur permet de se remettre en question, d’en parler et d’y réfléchir aussi…

TM : Cela dit, entre la comédienne un brin hystérique, l’intellectuelle coincée et la nympho assumée, le tableau féminin n’est pas mal non plus ! Quelle était ton intention ?
NM : J’avais envie, un peu comme dans une BD, de pousser un peu loin… notamment d’aborder le thème du viol avec une femme totalement libre sexuellement et déjantée, toujours dénudée pour qu’elle soit une victime totalement dérangeante, voire l’opposée de la victime parfaite, bien sous tous rapports. Mon personnage se devait aussi d’être comédienne pour dire que la femme joue bien souvent un rôle dans lequel on l’enferme et par la même occasion, montrer qu’elle peut s’en libérer…

TM : Tu dirais que c’est un film libérateur pour les femmes ou un film crépusculaire pour les hommes ?
NM : C’est beau, cette idée que tu as trouvée ! Vraiment, ça me plaît beaucoup… c’est un peu des deux, je pense. (rire)

TM : La grande question, c’est : pourquoi avoir choisi Marseille comme lieu de tournage ?
NM : Déjà, parce que j’ai vécu trois ans dans le quartier du Panier, et aussi parce que j’y suis allée en vacances avec mes parents quand j’étais enfant ; et je me souviens de tout ! C’est comme si j’avais eu un coup de cœur amoureux. J’ai même retrouvé un carnet où j’avais écrit que j’étais tombée amoureuse de cette ville et que mon rêve serait d’y habiter un jour. Quand j’ai commencé à écrire ce film, j’ai pensé à Marseille comme à un personnage, car je la vois comme une femme. Elle est très vivante, très généreuse, j’imagine qu’elle a des blessures et en même temps beaucoup de poésie. C’était comme une évidence que Les femmes au balcon se passe à Marseille. Il y a une vérité, une simplicité que je ressens, et le sentiment qu’on se connecte plus facilement à la vie chez elle…

LES FEMMES AU BALCON
Comédie fantastique
Un film crépusculaire & libérateur
En salle le 11 décembre 2024