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MAX ERNST, il est libre Max !

Si son nom est dur à l’oreille, son œuvre est douce à la vue : Max Ernst fait cet été l’objet d’une exposition rétrospective exceptionnelle à l’hôtel de Caumont. Souvent présenté comme un pionnier du dadaïsme, puis du surréalisme, loin pourtant d’être réductible à une doctrine, il est surtout l’incarnation d’un esprit de liberté radical d’autant plus touchant qu’ayant dû traverser les deux grands conflits du XXe siècle, son œuvre est marquée par une lucidité déconcertante. Peintre de la nature et du rêve, Max Ernst se définit d’abord, sur le fond et la forme, comme un grand humaniste et un inaliénable chantre de la liberté ; lui qui s’est autorisé, sur plus de cinquante ans, toutes les excentricités et toutes les innovations artistiques…

Le Jardin de la France, 1962. © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN – Grand Palais / Jean-Claude Planchet © Adagp, Paris 2023

Nature, magie et mystère

Au fond, l’œuvre de Max Ernst est tout à fait paradoxale. À la fois érudite et très accessible, elle aborde des thématiques universelles et déploie un imaginaire profondément populaire, tout en multipliant à satiété les niveaux de lecture, dans un système de matriochkas interprétatives. Pour appuyer sur son caractère grand public, l’exposition de l’hôtel de Caumont, conçue par les docteurs Martina Mazzotta et Jürgen Pech, s’articule autour de motifs et de procédés récurrents présents chez l’artiste : parfois graphiques, comme la nature ou la figure de l’oiseau, symbole obsessionnel de liberté ; parfois techniques, comme avec ses méthodes de créations indirectes ; parfois mythologiques, Max Ernst revisitant les mythes antiques et leurs grandes figures à l’aune de la psychanalyse naissante.

Œdipus Rex, 1922. Collection particulière, Suisse – Photo : droits réservés © Adagp, Paris 2023

Œdipus Rex, toile peinte en 1922 et présentée à Caumont, montre bien comment Ernst combine ses systèmes de symboles. C’est un Œdipe halluciné, sorti d’un rêve aux proportions troubles, dans lequel les deux Labdacides, Œdipe et Jocaste, sont figurés sous la forme d’oiseaux aux yeux humains. Entravés à plusieurs égards (clôture, corde, sorte de pilori…), ils sont construits en parallèle d’une main gigantesque et mutilée, qui tente de sortir d’une fenêtre trop étroite, enserrant une noix perforée d’une flèche. Sans aller plus loin dans la description, la vision est clairement cauchemardesque. Un spectateur qui voudrait pousser plus loin l’interprétation serait renvoyé à toute un lexique symbolique et freudien, la noix figurant par exemple à la fois le cerveau humain, l’altérité homme/femme et l’enfermement dans une coquille.

Les citations de Max Ernst sont aussi, souvent, littéraires. Épiphanie (1940), peinture rarement exposée, fait par exemple référence au Songe d’ une nuit d’ été de Shakespeare. L’œuvre présente un paysage mi-rocheux, mi-végétal dans lequel on devine parmi des formes animales le personnage de Nick Bottom, tisserand qui se voit dans la pièce transmuer en âne par Puck, l’elfe facétieux. Ses mondes imaginaires sont autant d’énigmes à déchiffrer, ce qui leur confère un aspect certes savant, mais avant tout ludique.

Épiphanie, 1940. Collection Esther Grether Family – Photo : Robert Bayer, Bildpunkt, CH – 4142 Münchenstein © Adagp, Paris 2023

Maître d’école… buissonnière !

Ce goût pour le jeun, replacé dans une perspective historique, c’est la marque des grands mouvements artistiques du XXe siècle. À cet égard, Max Ernst est à cheval entre deux tendances. Dada d’abord, qu’il a fondé avec Jean Arp et Johannes Theodor Baargeld en 1919 à Cologne, et le surréalisme ensuite, Ernst fréquentant le cercle d’André Breton, de Louis Aragon et de Paul Éluard, dès les années 1920. Mais tout en étant pleinement lié à ces groupes, il garde son indépendance et surtout, son inextinguible soif d’expérimentations. Le motif de l’œil coupé, qui nous a tous traumatisés au début du Chien andalou de Dalí et Buñuel, est présent chez Ernst dès 1922, et la fameuse technique du dripping que l’on associe généralement à Jackson Pollock (qui, avant de penser à Ernst, s’inspire d’ailleurs surtout de Janet Sobel), c’est encore une trouvaille de Max Ernst (Jeune homme intrigué par le vol d’une mouche non euclidienne, 1942) qui, en bon surréaliste, s’intéresse au produit du hasard. Sa palette, variée s’il en est, comprend aussi des techniques de frottage, du collage, du dessin ou encore de la sculpture. Génial touche-à-tout, comme le montre la richesse des pièces de l’exposition, si Max Ernst est maître d’école, c’est donc bien d’une école buissonnière, dans laquelle on apprend par le jeu et l’expérimentation, au contact de la nature. Alors c’est peut-être l’intello de service, qui cite de tête les volumes de sa bibliothèque (et encore, on fait l’impasse sur l’influence de la philosophie allemande sur son œuvre), mais ce que la rétrospective a le mérite de nous montrer, c’est qu’avec enthousiasme et générosité, il accepte tout le monde dans sa classe champêtre !

Monument aux oiseaux, 1927. © Ville de Marseille, Dist. RMN – Grand Palais – Benjamin Soligny / Raphaël Chipault © Adagp, Paris 2023

MAX ERNST
Mondes magiques, mondes libérés

HÔTEL DE CAUMONT
Jusqu’au 8 octobre 2023
3 rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence
www.caumont-centredart.com

En Une : Le Baiser, 1927. Photo © Collezione Peggy Guggenheim, Venezia (Fondazione Salomon R. Guggenheim, New York) © Adagp, Paris 2023