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LIGNE(S) DE MIRE, le regard qui tue

À mi-chemin entre l’op art, l’abstraction géométrique et le light and space (oui, on s’est engagé sur un carrefour), l’exposition du Bonisson Art Center revisite le concept de la ligne en exposant, avec le concours de la Galerie Bigaignon, une vingtaine d’artistes s’étant illustrés dans l’art du minimalisme des années 1970 à nos jours. Photographies, sculptures, dessins, peintures répondent ainsi au mantra d’Henri Cartier-Bresson qui avançait que photographier revenait à « mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur ». Une exposition à mettre dans le viseur de vos sorties culturelles de ce début d’année.

De la ligne de mire à la ligne de fuite

On n’est pas étonné que la notion de ligne intervienne dans la conception de dessins et de peintures. Après tout, c’est précisément ce que trace, à plat, l’artiste ; et l’histoire de l’art a toujours glorifié « la touche » comme la traduction concrète de l’individualité, du génie du créateur. Mais que l’on se focalise sur la ligne en parlant de photographie ou de sculpture en déconcertera plus d’un ! Pourtant, dès lors que le « plat » devient un « plan », le volume suggéré par la ligne de fuite embarque notre œil et nous intègre à la composition, rapprochant les différents arts visuels. En mettant le spectateur au cœur de sa création, l’artiste pose un espace géométrique, qui, même représenté à plat, transite de la ligne de mire à la ligne de fuite. C’est là, en pensant l’abstraction géométrique, que les artistes de la deuxième moitié du XXe siècle et l’avant-garde d’aujourd’hui se font un peu mathématiciens. Comme un retour aux sources. Vous en doutez ? Vous trouvez qu’avec ce genre de vision de l’art on se prend beaucoup la « tête », un peu « l’œil » et pas tellement le « cœur », contrairement au projet de Cartier-Bresson ? Pourtant, les plus grands chefs-d’œuvre de l’art figuratif partageaient ces mêmes obsessions mathématiques (il n’y a qu’à penser au nombre d’or, la divine proportion)…

Vers la ligne de faille

Si les œuvres exposées au Bonisson Art Center, dans une scénographie épurée, quasi ton sur ton (noir, gris, blanc…) peuvent paraître austères, c’est qu’elles sont radicales au sens strict. Volontairement minimalistes, elles visent l’essence des choses, de la matière, de la lumière, du regard, de la couleur dans ses nuances les plus infirmes, le tout sans fioritures et sans bombarde. Dans ces dégradés de gris, ces blancs immaculés, ces jeux de lumières crues, parfois aveuglantes, jamais chaudes, et ces noirs profonds, aveuglants eux aussi, c’est une obsession purement humaine qui se donne en spectacle : notre obsession d’ordonner le monde, de le quadriller, de le composer, d’y plaquer des grilles, de lui imposer des règles logiques, indiscutables… en un mot, rassurantes. On sort d’ailleurs du centre avec une impression de calme, comme après une expérience esthétique existentielle, un peu spectrale d’ailleurs, bien plus qu’intellectuelle. Aligner « la tête, l’œil et le cœur »… on a cru un instant avoir abandonné le dernier terme de l’équation, mais il était là, caché depuis le début, dans une faiblesse plus qu’humaine : notre peur du chaos et de l’insaisissable, que seule l’épure minimaliste parvient à calmer. « There is a crack in everything/That’s how the light gets in »* chantait Leonard Cohen.

En éclairant cette faille, l’art abstrait, que l’on croyait plus prompt à s’adresser à notre tête, nous touche finalement en plein cœur.

* Il existe une faille en toute chose, c’est par là qu’entre la lumière

LIGNE(S) DE MIRE au CHÂTEAU BONISSON
BONISSON ART CENTER, 177 route des Mauvares, Rognes
Jusqu’au 22 juin
Visite libre, sur réservation
www.bonisson.com/bonisson-art-center