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17 Apr, Wednesday
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AZURO, plein soleil à La Redonne

Imaginez le coeur de l’été. Une chaleur écrasante qui vous plonge dans une torpeur inhabituelle, dans un village coincé entre la mer et la montagne, et des amis qui se connaissent un peu trop. Et surtout, pas de réseau, donc pas de communication avec l’extérieur… Les vacances, donc rien à faire, sauf boire du Campari. Soudain arrive un bateau, avec à son bord un homme énigmatique…

Ça vous dit quelque chose ? C’est normal, le premier long-métrage de Matthieu Rozé s’inspire librement de l’ouvrage de Marguerite Duras, Les Petits Chevaux de Tarquinia. Sa variation cinématographique de l’oeuvre nous offre un film sensible et élégant, entièrement tourné l’été dernier près de Marseille, plus exactement dans la calanque d’Ensuès-la-Redonne et dans les criques alentour. Bon, dans le scénario, ça se passe en Italie, mais ça ne gâche en rien le plaisir. On n’est pas si loin.

Thomas Scimeca

Matthieu Rozé a été totalement envoûté par l’ouvrage de Marguerite Duras, autrice classique qu’il perçoit pourtant « presque comme une icône pop », nous confie-t-il. Pour son entrée dans la cour des grands, le réalisateur s’est doté d’un casting puissant dans lequel Valérie Donzelli et Nuno Lopes semblent des têtes d’affiche sans en être vraiment, tous les personnages étant essentiels dans une logique d’histoire chorale : Yannick Choirat, Florence Loiret Caille, Maya Sansa et Thomas Scimeca*, tous de beaux caractères, ont été choisis avec perspicacité et donnent beaucoup à la caméra. À vrai dire, même l’enfant joue superbement.

Valérie Donzelli & Nuno Lopes

L’atout majeur de ce long-métrage de 1 heure 45 minutes, c’est qu’il est filmé en Super 16, avec de la vraie pellicule. Un coup de génie esthétique, une originalité technique qui explique cette lumière particulière aux supports analogiques et les couleurs incandescentes dont on n’a plus l’habitude. Cette photographie pour ainsi dire « charnelle » transforme la nature en un élément à la fois superbe et menaçant, tout en rendant finement perceptibles la chaleur estivale, le grain de la peau des acteurs et l’ardeur du désir. Du coup, on a la sensation de regarder un film tourné en 1970 et c’est hyper agréable car cela rajoute de l’intemporalité au thème déjà universel. La musique composée par le Marseillais Kid Francescoli épouse cette impression et amplifie la sensualité qui se dégage des images, en y mettant une dose de romantisme doux.

Il y a beaucoup de retenue dans cette comédie qui flirte constamment avec le drame. Les personnages semblent aussi retenir leur souffle à chaque mouvement du ciel ou de la mer, craintifs à l’idée d’un climat déréglé dont on parle sans arrêt ! D’ailleurs, en parlant de souffle, ils fument tous un peu trop, comme dans les films de Claude Sautet
En bref, un joli spectacle qui vaut d’être vu au cinéma, déjà pour le Super 16 inhabituel et pour les décors naturels, la beauté des sentiments, mêmes les plus enfouis, et les regards qui en disent long… Et l’air de rien, ça nous donne envie de nous plonger dans le roman de Duras

*L’acteur marseillais Thomas Scimeca a déjà fait l’objet d’un portrait dans nos cahiers pour son rôle dans Notre Dame, de Valérie Donzelli, sorti en 2019.

Au cinéma le 30 mars 2022