
Aslak NORE, romancier nordique méridional
Paradoxalement, c’est au Festival du livre de Paris que nous rencontrons Aslak Nore, le plus marseillais des Norvégiens, installé depuis dix ans au Vallon des Auffes. Ce n’est pas encore un tour du monde, mais en une phrase, on a déjà accumulé pas mal de kilomètres au compteur. L’idée de l’écrivain scandinave, montagne de nonchalance aux yeux clairs, qui se promène à Endoume avec des polars glaçants plein la tête, est tellement improbable qu’à l’occasion de la sortie de son nouveau thriller, Piège à loup, nous avons voulu en savoir plus…
L’aventurier
Quand il nous raconte son parcours de vie, son engagement, tout jeune, dans le bataillon d’infanterie motorisée norvégienne Telemark, son déploiement en Bosnie, puis son travail de journaliste en Afghanistan, avant d’en venir à l’écriture romanesque, comme son père Kjartan Fløgstad, il nous évoque naturellement Joseph Kessel, la morgue un rien « phallo » et le sentiment de surplomber le monde en moins. « J’ai toujours eu cet esprit aventurier et quand j’étais scolarisé à Oslo, j’avais ce rêve de partir voir le monde. La première occasion s’est présentée quand j’ai fait mon service militaire. Dès qu’on me proposait des missions à l’étranger, je me disais pourquoi pas ! », nous raconte-t-il, avant de s’assombrir et de nous expliquer qu’entre la camaraderie, les enjeux de loyauté et la question de la mort, omniprésente, il a vécu son engagement comme une « expérience existentielle », qui lui a donné sur la nature humaine des clefs de lecture qu’il réinvestit dans son écriture. Un phénomène amplifié par son travail de journaliste : « Grâce à mon background militaire, je me suis rendu compte que quand je rencontrais des gens, mettons dans un bar à Kaboul ou dans un coin perdu du Moyen-Orient, ils me racontaient des histoires qu’ils n’auraient pas forcément racontées aux autres journalistes. » Après avoir écrit quelques livres documentaires, il se rend compte qu’il a recueilli une masse énorme d’histoires qu’il ne peut pas intégrer telles quelles à ses ouvrages : « Je me suis dit, pourquoi ne pas concilier le journalisme avec la fascination que tu avais enfant pour le thriller et le polar ? »
Humain, trop humain…
Alors Aslak s’évertue à accommoder dans ses romans réalités historiques ultra-documentées et vérités psychologiques. Aussi, ses personnages sont-ils profondément humains et très ambivalents, souvent un peu lamentables. C’est le cas du héros de Piège à loup, Henry Storm, qui, engagé dans légion SS Wiking pour combattre le bolchévisme aux côtés des Allemands pendant la deuxième guerre mondiale, revient au pays traumatisé par ce qu’il a vu sur le front de l’Est, où les soldats morts, abandonnés dans la neige, « ne sentent pas ». Dégoûté par le national-socialisme, lorsque Astrid, sa petite amie devenue résistante, le quitte, il décide de servir la cellule de celle-ci en devenant espion à Berlin. Tenter de changer l’issue de la guerre en dévoilant des secrets industriels allemands… pour récupérer une fille… mélange de grandeur et de petitesse. « Dans la guerre, la plupart des gens ne sont ni héroïques ni méchants, ils veulent juste poursuivre leur vie. Henry Storm est un peu lamentable parce qu’on est comme ça. Et quand j’écris, je cherche le dilemme. »
Une concession toutefois, Aslak admet que ses personnages féminins sont un peu plus droits dans leurs bottes. Si Beatrice Skarbek, femme fatale et agent double, collabore de fait avec les services de renseignement nazis, ce n’est que dans l’espoir de revoir son fils, détenu par la Gestapo. Motivation plus noble que la réparation d’un ego blessé. Il faut dire que pendant l’écriture du livre, la naissance de sa fille (à Marseille) a changé la perspective d’Aslak, donnant davantage de relief à la psychologie de ses personnages de femmes, figures incontournables du polar scandinave ! Et quand on lui demande s’il pourrait envisager un jour d’écrire un « polar nordique marseillais », après un instant de perplexité, ses yeux se mettent à briller : « Pour le meilleur et pour le pire, les gens aiment bien l’image du nordique, je suis un peu obligé de m’y conformer. Mais c’est vrai qu’il y aurait des parallèles à faire entre les armateurs norvégiens et les armateurs marseillais, et la rivalité Paris-Marseille ressemble au conflit entre Oslo et Bergen, comme dans mes romans sur la famille Falck*. On pourrait transposer, dans une série TV par exemple… Et puis, j’adore Marseille ! Je vais y repenser ! »
* Voir Le Cimetière de la mer et Les Héritiers de l’Arctique au Bruit du monde.

PIÈGE À LOUP
432 pages, 25 €, Le Bruit du monde