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UNE VILLE DANS LA VILLE, Reportage au coeur du marché d’intérêt national des Arnavaux

Les férus de littérature se souviennent certainement de la description du gargantuesque marché des Halles dans Le Ventre de Paris, d’Émile Zola, qui fit sensation sur la scène littéraire en 1873. Sans avoir été couronné d’une aura littéraire équivalente, Marseille a aussi son « ventre », sis en plein coeur de la cité phocéenne. On le frôle généralement sans que notre regard ne s’y attarde ou, encore, l’aperçoit-on depuis la nouvelle rocade L2, non loin des Arnavaux. Le marché d’intérêt national (MIN) est, étonnamment, méconnu des Marseillais. Il occupe pourtant, depuis près de deux siècles, une place centrale dans l’approvisionnement de la deuxième ville de France en marchandises diverses.

Nous vous avons déjà parlé de l’époque où le port de Marseille se dressait face à la Méditerranée comme la grande porte de l’Orient (voir la rubrique Histoire sur www.toutma.fr), posant nos regards sur la mer plutôt que sur la terre. L’exposition « Les Hommes de l’aube », présentée par la Ville, la Métropole Aix-Marseille- Provence et le MIN des Arnavaux, apporte un complément indispensable au tableau que nous avions dressé alors et invite les Marseillais (ainsi que les visiteurs) à la rencontre de leur grand marché local, levant le voile sur son passé comme sur son avenir, inscrit dans un véritable projet de territoire. 

Le rattachement de la gouvernance du MIN à la Métropole Aix-Marseille-Provence au travers de la Somimar (société d’économie mixte) souligne, s’il en était besoin, l’intérêt public que représente le marché pour le territoire et ses habitants. Car c’est bien de projet territorial dont il s’agit : défendre un territoire durable, inclusif, économiquement dynamique et tourné vers l’avenir passe, nécessairement, par une réflexion sur l’approvisionnement de nos commerces et filières depuis les producteurs. Si aujourd’hui les circuits courts et ventes directes tendent à se développer, le MIN des Arnavaux, premier fournisseur de denrées alimentaires sur Marseille et sa région, entend bien se positionner sur ce nouveau secteur. Entré de plain-pied dans le xxie siècle, il ne pouvait en effet ignorer l’appétence du public pour ces nouveaux modes de consommation. En entamant sa transition vers l’avenir, le MIN démontre, une fois de plus, que sans être bien connu des Marseillais, il a su s’adapter à leurs usages et évoluer à travers les âges. 

C’est en 1840, soit il y a près de deux siècles, que le concept de marché de gros naît à Marseille. En ce temps-là, celles que l’on surnommait les « partisanes » constituaient les véritables rouages du marché : commissionnaires des opérations d’achat-vente, elles assuraient près de 65 % du trafic de marchandises. À l’époque, le marché de gros de Marseille est encore installé au cours Saint-Louis, avant d’être transféré boulevard Dugommier, puis rue du Musée (après un passage boulevard du Muy). En 1860, le cours Julien, aujourd’hui davantage connu pour ses cafés et ses artistes que pour ses tréteaux et autres étals, est choisi pour regrouper l’ensemble des marchés existants dans la ville (différenciés selon les produits vendus) en un seul : le marché central d’approvisionnement de Marseille. Dans les années 1870, le cours compte près de 21 criées et devient le carrefour méridional de l’échange des marchandises en provenance des quatre coins de la France… et du monde. 

Au tournant du siècle, ce marché ambitieux s’est pourtant rapidement révélé obsolète face à l’augmentation significative de l’échange de marchandises et du tonnage (80 000 tonnes annuelles au début du xxe siècle). Dans le même temps, le système des criées et la fonction de commissionnaire des partisanes apparurent dépassées devant la nécessité de moderniser et de transformer le marché afin de l’adapter au trafic de marchandises d’une région densément peuplée et profondément nourricière. Aussi, les pouvoirs publics, pour qui le marché revêtait une importance capitale dans l’économie locale, entreprirent au sortir de la guerre, et alors que le tonnage avait atteint les 600 000 tonnes, de déplacer le marché de gros vers la Joliette, dans des infrastructures plus adaptées. La gouvernance elle aussi se modernisa, puisque le statut de MIN (marché d’intérêt national) fut créé en 1953, bien avant l’heure de la décentralisation. L’économie dirigiste de l’époque considérait, en effet, que l’État se devait de garder un étroit contrôle sur ces structures et financer directement leurs équipements : le MIN de Marseille se modernisa progressivement pour accueillir rails, entrepôts, télécommunications, routes et tous les aménagements nécessaires à sa montée en gamme. 

Dans les années 1960, le MIN se fixa à son emplacement actuel, aux Arnavaux (14e), suite à l’acquisition d’un vaste complexe foncier. Moderne et stratégiquement situé (à l’extérieur d’un hypercentre engorgé mais toujours intra-muros), il récupéra progressivement l’ensemble des activités « de fruits et légumes », précédemment dévolues au cours Julien (6e). Achevé en 1972 et placé sous la tutelle de la Somimar, il accueillit donc d’abord uniquement les fruits et légumes, avant de s’adjoindre, à Saumaty, la poissonnerie (1976) et les fleurs (1983). 

Moderne et tentaculaire, le MIN des Arnavaux se place aujourd’hui au second rang des MIN de France par la taille et le tonnage de ses marchandises, juste après le marché de Rungis. Premier MIN du Sud de la France et perméable aux évolutions de la société et du territoire qui le porte, il entame, pour le futur, une transition axée sur une réflexion globale autour de la durabilité et de la qualité des marchandises. Cela passe notamment par la réduction de son impact écologique et carbonique (avec l’installation massive de panneaux photovoltaïques sur ses toitures, afin de favoriser l’autosuffisance énergétique de l’infrastructure), mais également par le développement de l’approvisionnement en circuit court, depuis les producteurs de la région (plutôt que depuis d’autres pays ou des régions françaises plus éloignées), et l’investissement dans de nouveaux secteurs tels que l’alimentation biologique, l’alimentation du monde, les produits transformés, l’épicerie fine… qui, jusque-là, échappaient majoritairement au commerce de gros au profit du commerce de détail. 

Logistique, gestion des denrées périssables, lutte contre le gaspillage, énergies vertes… Le MIN poursuit sa transition et réaffirme son importance pour les Marseillais et les Provençaux : 2 500 emplois, 4,8 millions de tonnes de marchandises par an, 2,5 millions de personnes approvisionnées, indirectement, en produits frais. Bon appétit ! 

Texte_ Romain BONY-CISTERNES