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Renaud CAPUÇON, 10e Festival de Pâques, “On récolte les fruits de ce qu’on a semé”

Quand un jeudi matin de février, au Grand Théâtre de Provence, Renaud Capuçon se produit en compagnie de l’Orchestre national Avignon-Provence, c’est devant un parterre de près d’un millier de spectateurs ! Cela illustre bien la popularité du violoniste, qui est aussi directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Alors qu’il s’apprête à célébrer la première décennie d’un rendez-vous musical au succès fou, rencontre avec l’homme de musique, qui compose merveilleusement entre ses multiples partitions de virtuose, programmateur, producteur… et désormais, chef d’orchestre !

ToutMa : À l’aube de sa première décennie, comment expliquez-vous le succès du Festival de Pâques ?

Renaud Capuçon : On ne s’est pas dispersé, on est resté concentré sur l’essentiel : la musique. Si on regarde le programme des dix dernières années, il y a réellement une ligne artistique ; nous ne sommes pas tombés dans les pièges des modes, c’est pour ça qu’on a fédéré un public solide, fidèle, et ce, dès la première année. Il n’y a pas de délire d’égo, pas de gadget, de poudre aux yeux, on récolte les fruits de ce qu’on a semé de façon organique.

TM : Dans un univers comme celui de la musique classique, réputé élitiste, comment s’ouvrir au plus grand nombre ?

RC : La première chose que j’ai demandée, c’est qu’on ne vende pas des places à 250 €, il était hors de question de faire un festival élitiste ! Et cela a été possible grâce au soutien sans faille du CIC depuis le début, qui nous permet d’appliquer cette politique tarifaire. Mais si le public est resté, et cela s’est vérifié après la Covid, c’est aussi parce que nous ne faisons pas dans le populisme : l’idée n’est pas de proposer ce que les gens connaissent déjà. C’est un « mix » de programmes très grand public et d’autres, plus innovants. Et puis on a développé des choses avec d’autres publics, avec les hôpitaux, les écoles, les jeunes talents…

TM : Des « Sommets Musicaux de Gstaad » à la Haute École de musique de Lausanne, en passant par vos 150 dates annuelles de concerts, quelle place occupe la Provence parmi tous vos déplacements perpétuels ?

RC : Aix est devenue centrale, je m’installe plus de deux semaines le temps de chaque édition, c’est le seul endroit où je me pose aussi longtemps. Je reviens même à la Toussaint pour les Nouveaux Horizons créés il y a trois ans. J’ai désormais une maison à 35 minutes d’Aix, j’y passe mes vacances d’été. Oui, cette région a une place de choix dans ma vie. Aix est un lieu privilégié pour la musique, qui évoque plein de projets pour moi, mais aussi pour ma vie familiale.

TM : Comme vous l’avez dit, tous vos métiers répondent au même leitmotiv : « Simplement aimer réunir des musiciens pour faire de la musique. » Vous êtes tout de même à la fois musicien, directeur artistique, producteur, et maintenant, chef d’orchestre…

RC : Quand on est musicien, comme moi depuis que j’ai 4 ans (j’ai 47 ans, faites le calcul), on a aussi envie de diriger ; moi, j’en ai envie depuis que j’ai joué à 21 ans, avec Claudio Abbado, le grand chef d’orchestre italien. Et cela fait vingt ans que je repousse le moment de le faire ; je devais d’abord mûrir, faire d’autres choses… C’est une autre porte qui s’ouvre, une autre vie dans ma vie de musicien, l’un des plus grands bonheurs ! D’ailleurs, le fait de programmer et de diriger me fait jouer du violon différemment, et le fait de jouer du violon depuis quarante ans me fait certainement diriger différemment. Au cœur de ces métiers, il y a la relation avec les autres musiciens, les entrées communes sont énormes. La vraie différence, c’est d’être devant un orchestre sans mon violon, c’était le gros pas à franchir, un vrai challenge. Une fois ce cap passé, on retrouve les sensations. Tout ceci va dans la même direction : avec ou sans violon, c’est la même volonté de faire de la musique.

TM : Vous avez dit : « Plus je vieillis, plus j’ai d’activités et plus j’ai l’impression d’avoir du temps, je ne suis plus stressé comme lorsque j’étais jeune. » Pourtant, quand on regarde votre emploi du temps, on vous imagine courir dans tous les sens !

RC : En fait, je ne peux pas l’expliquer… mais disons que je vais chercher le calme dans le sommeil. Quand j’ai du mal à prendre une décision, je vais dormir un quart d’heure. Comme une autruche, je mets la tête dans le sable, et quand je la ressors, tout est clair… Je ressens une sérénité intérieure, parce que je sais que je fais les bons choix. Si je n’arrivais pas à tout faire, je réduirais la voilure. D’ailleurs, on voit ce que je fais, mais pas ce que je refuse, et je refuse beaucoup de choses ! Je n’aime pas qu’on me parle de boulimie, c’est un mot bien trop péjoratif ; au contraire, je ne fais que du bien, à moi et aux autres, et cela me remplit. C’est comme quand vous aimez un auteur, vous avez envie de tout lire, avec la musique c’est pareil, quand vous commencez à vous sentir bien, c’est sans fin.

TM : Alors nous ne parlerons pas de « boulimie », mais plutôt de « fringale »…

RC : Au départ, j’ai programmé des festivals parce que j’avais un tel besoin de musique, qu’avec mon violon, je ne pouvais réaliser que 5 % de la masse de mes envies. Inconsciemment, c’était pour accéder à plus. C’est vrai, je suis soliste, je suis sur le devant de la scène, je fais des disques… mais rien ne me fait plus plaisir que d’être dans la musique. Par exemple, je suis parti à Vienne parce que je rêvais de jouer Le Chevalier à la rose, l’opéra de Richard Strauss. Bon, je ne vais pas me payer un orchestre pour jouer avec moi ! Alors j’ai demandé à l’Orchestre philharmonique de Vienne si je pouvais jouer avec eux, j’ai travaillé comme un fou, je rêvais de cet opéra ! Et j’étais dans la fosse de l’orchestre, le public ne savait pas que j’étais là, et moi j’étais sur un tapis volant… Rien ne me fait plus plaisir que d’être dans la musique.

TM : Cela prend tout son sens avec l’accompagnement et la transmission qui sont au cœur de vos projets, à l’image de Génération @ Aix, et votre nouvelle casquette de producteur…

RC : Oui, il y a Génération @ Aix (concerts de jeunes talents qui occupent une place spéciale dans la programmation cette année, ndlr) mais aussi Nouveaux Horizons, créé ici avec Dominique Bluzet pour accompagner les jeunes compositeurs. La transmission, c’est central, c’est tellement naturel. Quand vous élevez un enfant, on ne vous félicite pas de lui avoir appris à marcher, à parler, c’est normal de l’éduquer ! Eh bien, là, c’est pareil, c’est un bonheur d’apprendre aux jeunes, c’est naturel. Jouer avec eux, les faire progresser, les voir s’ouvrir en les mettant au même niveau sur scène, ou sur l’affiche (c’est psychologique mais c’est important), ils sont à égalité avec moi, je fais même parfois le second violon.

Concernant mon nouveau rôle de producteur, je faisais beaucoup de choses pour les jeunes, et avec autant d’activités, il fallait une sorte de vaisseau, une base, ou plutôt un satellite, pour arrimer tous les vaisseaux… On s’occupe de jeunes talents, on leur fait la courte échelle, pour les accompagner vers la suite. C’est une autre façon de voir la musique, et j’aime voir la musique sous tous les angles. Et j’ai envie d’être acteur, pas spectateur.

LES 10 ANS DU FESTIVAL DE PÂQUES
DU 31 MARS AU 16 AVRIL
à Aix-en-Provence
festivalpaques.com

© Photos : Simon Fowler