Marseille
26 Apr, Friday
12° C
TOP

MARSEILLE, PIONNIÈRE DE LA DÉFENSE DES FEMMES

L’asile de la rue Honnorat

Si vous avez voyagé à bord d’un autocar au départ de la gare Saint-Charles ou si vous avez connu l’ancienne entrée nord de la gare, rue Honnorat, vous êtes forcément passé devant un bâtiment ancien aux allures de bastide qui contraste fortement avec les édifices alentours. Peut-être vous êtes-vous interrogé sur son histoire. En poussant un peu plus loin, peut-être avez-vous remarqué qu’il abritait une institution destinée à héberger les plus démunis. Peut-être vous êtes-vous alors demandé si ce bâtiment avait toujours eu cet usage… Mais trêve de suppositions et place aux faits. Nous vous proposons aujourd’hui de partir à la découverte de ce lieu en nous intéressant au contexte de sa construction, au fonctionnement de l’institution qu’il a toujours abritée et au quotidien de ses usagers : les femmes sans-abri. 

Au xixe siècle, en termes d’assistance aux sans-abri, Marseille fait figure de pionnière. Elle est en effet l’une des toutes premières villes de France à ouvrir, à l’initiative de particuliers, des institutions destinées à les accueillir sans les enfermer. Si la première, destinée aux hommes, est fondée en 1872, rue Marengo, il faut attendre 1886 pour que la seconde, destinée aux femmes, ouvre ses portes rue des Carmelins. Toutes deux sont créées par François Massabo, un commerçant philanthrope d’origine sarde, qui les finance avec le soutien de plusieurs notables marseillais. 

Souvent nommé « asile des Carmelins » en référence à la rue où il est initialement implanté, l’asile pour femmes sans-abri est dirigé par des laïques et reconnu d’utilité publique en novembre 1889. Un an plus tard, il s’installe à son emplacement actuel, derrière la gare, rue Honnorat, dans un nouveau bâtiment spécialement construit pour l’accueillir. Ce dernier est bâti sur une parcelle de 2 000 m² précédemment occupée par l’ancien grand cimetière de la ville, le cimetière Saint- Charles (fermé en 1876 au profit de celui ouvert en 1856 dans le quartier Saint-Pierre). 

Le nouveau bâtiment est édifié grâce à la générosité du négociant Étienne Zafiropulo dont le nom, accolé à celui de François Massabo, est donné à l’oeuvre. Une grande plaque rectangulaire à l’entrée du bâtiment le rappelle encore aujourd’hui. 

L’entrepreneur Ferdinand Dray parachève le chantier en seulement sept mois, oeuvrant sous la houlette de l’architecte Gaudensi Allar. Ce dernier, qui réalisera notamment quelques années plus tard le monument des Mobiles (placé en haut de La Canebière et inauguré en 1894), est un proche collaborateur de l’architecte Jacques Henri Espérandieu, connu pour avoir réalisé, entre autres, la basilique Notre- Dame-de-la-Garde, le palais Longchamp et le palais des Arts (voir ToutMa n°48). 

L’asile de la rue Honnorat est doté de cinq niveaux dont un sous-sol et des combles. Il est bordé au nord par des galeries à arcades, aujourd’hui en partie disparues, donnant sur une cour intérieure. Les cuisines, les réserves, le réfectoire des employés et une citerne occupent le sous-sol. Au rez-de-chaussée, l’institution dispose entre autres d’un réfectoire, d’une salle pour le conseil d’administration, d’une autre pour les dames patronnesses, d’une chambre mortuaire, d’une chapelle dotée d’une sacristie, d’une buanderie et de cabines de bains. Les dortoirs occupent les premier et deuxième étages du bâtiment. Ils sont tous deux dotés de toilettes et de lavabos, preuve de l’importance accordée à l’hygiène par l’institution. 

Chaque nuit, jusqu’à 90 femmes sont reçues gratuitement à l’asile, quelquefois avec leurs enfants. Même si le culte catholique occupe une place importante au sein de l’institution, l’accueil n’est pas exclusivement réservé aux personnes de cette obédience. La nationalité n’est pas non plus un critère d’entrée. L’oeuvre accueille ainsi de nombreuses indigentes étrangères, qu’elle aide parfois à rentrer dans leur pays d’origine. 

De la soupe est servie aux sans-abri matin et soir, et un morceau de pain leur est distribué au dîner. Seuls les malades et les enfants ont droit à une soupe le midi. Les femmes sont parfois hébergées plusieurs jours d’affilée. Elles sont par ailleurs vêtues quand elles ne disposent que de guenilles. L’asile essaye aussi de les réinsérer dans la société en leur procurant un travail. Concernant les enfants, ils sont parfois séparés de leurs mères et envoyés dans des structures gérées par l’assistance publique, afin d’être pris en charge de façon pérenne. Les jeunes filles seules ayant trouvé refuge à l’asile peuvent également être envoyées dans ces mêmes institutions. Hormis l’accueil des sans-abri, l’asile fait aussi office de dispensaire. Il offre ainsi des consultations médicales gratuites, tous les mardis à 11 heures du matin pour les adultes et tous les jeudis pour les enfants. 

Deux autres oeuvres de charité réservées aux femmes et aux enfants sont abritées dans les locaux de la rue Honnorat : « l’oeuvre de l’Écuelle de soupe », qui distribue chaque soir de la soupe à consommer sur place, et « l’oeuvre des Bains gratuits », réservée aux personnes munies d’une ordonnance médicale, d’un certificat d’indigence (délivré par le commissaire de police de leur quartier) ou envoyées par une autre institution de charité. 

De nos jours, le bâtiment a conservé un usage social. Les femmes sans-abri continuent à y trouver du secours et un hébergement temporaire. Il n’a d’ailleurs été détourné qu’une seule fois de sa vocation originelle, au cours de la seconde guerre mondiale, pour les besoins du Service du travail obligatoire. Réquisitionné sous l’Occupation, le bâtiment a en effet servi de base de départ aux Marseillais envoyés en Allemagne par les autorités françaises afin de contribuer à l’effort de guerre allemand. Une plaque apposée sur la façade, à l’est du bâtiment, rappelle cet épisode qui ne manquera pas d’interpeller les passants, frappés à juste titre par le caractère précurseur de cette institution centenaire tournée vers la protection des plus démunies, dont l’usage fut détourné à des fins militaires… 

Texte_ Judith AZIZA