Marseille
17 Apr, Wednesday
14° C
TOP

MARSEILLE IN LOVE, panorama littéraire et amoureux

Au commencement était l’amour… en histoire comme en littérature ! Marseille serait donc née du choix, bien moderne, de la jeune Gyptis pour Protis*, lequel, dans une foule de convives, ne s’attendait pas à se faire passer la bague au doigt entre le plat de résistance et le dessert. Une histoire romantique entre la Salluvienne et le Phocéen qui prélude à une longue série d’amours tantôt heureuses, tantôt désenchantées…

Flaubert

À Marseille, toutes les histoires d’amour ne finissent pas mal, mais certaines marquent à jamais ceux qui les vivent. Ainsi en est-il de Gustave Flaubert, reçu au baccalauréat en 1840. Son père lui offre un voyage qui le conduit à Marseille : « La première fois que je suis arrivé à Marseille, c’était par un matin de novembre. Le soleil brillait sur la mer, elle était plate comme un miroir, tout azurée, étincelante. Nous étions au haut de la côte qui domine la ville du côté d’Aix. Je suis descendu de voiture pour respirer plus à l’aise et me dégourdir les jambes. C’était une volupté virile comme je n’en ai plus retrouvé depuis. Comme je me suis senti pris d’amour pour cette mer antique dont j’avais tant rêvé. » L’amour ne tarde pas à avoir un visage, celui d’Eulalie Foucaud de Langlade, magnifique femme de 35 ans qui tient l’hôtel Richelieu, où il est descendu. C’est le coup de foudre, et ils entament une liaison passionnée qui ne durera que quatre jours mais qui marquera durablement l’écrivain. Il ne la reverra plus de sa vie, mais il prêtera à Madame Bovary et à de nombreux personnages féminins les traits et le caractère de la belle Eulalie. L’Éducation sentimentale, c’est bien celle qu’Eulalie lui a offerte… Mieux (ou pire ?), à chacun de ses séjours à Marseille, il reviendra sur les lieux de cette passion, en avril 1845, en novembre 1849, et en avril 1858 : donc dix-huit ans plus (!) : « J’ai revu à Marseille la fameuse maison où, il y a dix-huit ans, j’ai baisé Mme Foucaud née Eulalie de Langlade. Tout y est changé ! Le rez-de-chaussée, qui était le salon, maintenant un bazar et il y a au premier un perruquier-coiffeur. J’ai été par deux fois m’y faire faire la barbe. Je t’épargne les commentaires et les réflexions chateaubrianesques sur la fuite des jours, la chute des feuilles et celle des cheveux. N’importe ; il y avait longtemps que je n’avais si profondément pensé ou senti, je ne sais », écrit-il à son ami Alfred Le Poittevin, tout romantisme envolé !

Stendhal

C’est encore une Marseillaise qui emporte le coeur d’Henri Beyle, futur Stendhal prêt à se faire épicier pour les beaux yeux de Mélanie Guilbert, une comédienne qu’il suit de Paris à Marseille, où il s’installe durant une année. C’est la période la plus heureuse de son existence. C’est d’ailleurs à Marseille qu’il débute l’écriture de son roman le plus célèbre, Le Rouge et le Noir. Le couple s’installe rue Sainte, à la porte du Grand-Théâtre, près de la rue Paradis… Pour gagner sa vie, le jeune homme de 22 ans travaille dans une épicerie, rue du Vieux-Concert, actuelle rue Venture. Ce qui en 1805 signifie chiffres, négoce, et peu de lettres. Mais l’amour lui fait voir la ville sous le meilleur jour : « Marseille est la plus jolie. Elle doit sa qualité à certaines allées de platanes, plantées au fond d’une vallée fort évasée qui se trouve au centre de la ville et qui monte doucement… Marseille a cette ressemblance avec Rome qu’elle est établie sur plusieurs collines et plût à Dieu qu’au pied de l’une de ces collines, Rome vit couler la mer ! » Hélas, la belle Mélanie le quitte, et Stendhal ne revient qu’à regret dans la ville de son premier amour, lui trouvant alors plus de défauts que de qualités. Ah, les yeux de l’amour…

Zola

C’est dans la fuite, celle de la guerre de 1870, qu’Émile Zola et Alexandrine arrivent jeunes mariés après cinq ans de vie commune, l’écrivain n’ayant que peu de considération pour le mariage. Ils vivent à l’Estaque, puis au 15, rue Haxo. Zola en profite pour participer à la création du journal, La Marseillaise, 7, rue Neuve des Augustins, mais l’histoire ne dit pas si pendant ce temps Alexandrine met au point sa fameuse recette des sablés, qu’elle servira ensuite aux fameuses soirées de Médan. Lorsque Zola écrit Les Mystères de Marseille, c’est une histoire d’amour malheureuse dont il brosse l’épopée, celle de « Philippe Cayol, pauvre, sans titre, et républicain pour comble de vulgarité » avec la jeune Blanche de Cazalis, la nièce de « M. de Cazalis, député, millionnaire, maître tout-puissant dans Marseille ». Hélas, Blanche finira au couvent…

Conrad

Tout aussi tragiques les amours de Joseph Conrad, arrivé à Marseille en 1874, et accueilli par Thérèse Chodzko, une cousine avec qui il vit une histoire d’amour tragique, qui se conclut par le suicide de cette dernière : « Marseille, où j’ai jeté mon premier coup d’oeil conscient sur le monde et la vie », écrit-il. On retrouve Thérèse Chodzko inspirante dans La Folie Almayer, son premier roman publié en 1895, dans Nostromo autre roman publié en 1904, puis dans La Flèche d’or, publié bien plus tard, entre 1918 et 1920, en feuilleton dans Llyod’s Magazine.

Pagnol

Plus proche de nous, et aussi plus célèbre, chez Pagnol : l’histoire d’amour contrariée (encore !) de Fanny et Marius, ce dernier ne résistant pas à l’appel de la mer… Mais heureusement, la romance de la Tante Rose et de l’Oncle Jules, commencée sous les meilleurs auspices au parc Borély, s’achève par un mariage heureux et la naissance du cousin Pierre : « Je me promenais au bord de l’étang du parc Borély, qui est une sorte de parc de Saint-Cloud, au bout du Prado de Marseille. Le jeudi et le dimanche, ma tante Rose, qui était la soeur aînée de ma mère, et qui était aussi jolie qu’elle, venait déjeuner à la maison, et me conduisait ensuite, au moyen d’un tramway, jusqu’en ces lieux enchantés […]. Mais un beau dimanche, je fus péniblement surpris lorsque nous trouvâmes un monsieur assis sur notre banc. » Aussi, malgré ce panorama doux-amer, il serait faux de conclure que Marseille ne porte pas bonheur aux amoureux : il y a quelques siècles de cela, Désirée Clary, fille d’armateur marseillais, tombe éperdument amoureuse et épouse un général qui deviendra roi de Suède et de Norvège, la faisant couronner reine ! Elle laisse derrière elle une lignée de rois de Suède. L’actuel roi, Charles XVI Gustave, sur le trône depuis 1973, est en effet le descendant direct de la Marseillaise… Texte _Anne MARTINETTI

*Le récit de ces amours antiques est fait par le Voconce Trogue Pompée, contemporain d’Octave Auguste (cité par Justin, Histoires philippiques, XLIII).