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JAIN, DE MELTING-POT À MELTING-POP

Mélangeant les genres comme on distribue les cartes, Jain retourne sur scène avec un troisième album, « The Fool », sorti en avril dernier. En français « the fool », c’est Le Fou, Le Mat, la première et dernière carte du Tarot de Marseille. Elle représente un nouveau départ vers l’inconnu. Une sorte de renaissance pour la chanteuse, surtout habituée à tirer les beats, dans ses albums où l’électro le dispute au reggae, où rythmes et syntaxe se syncopent à l’unisson. Dans ce nouvel opus, on découvre les rondeurs d’une trentaine mise à nue : un album où les angles fondent et où les notes se liquéfient à travers une pop psychédélique. Un voyage interstellaire, une conception holistique.

La carte de la Lune : LA NOSTALGIE

La ronde cosmique des planètes de Jeanne Galice, c’est un peu comme expliquer l’histoire d’un Big Bang musical. Née à Toulouse en 1992, d’une mère métisse malgache et d’un père qui travaille dans l’industrie pétrolière, Jain grandit très vite à la croisée des mondes. La famille s’expatrie à Dubaï, à Pointe-Noire, au Congo, puis à Abu Dhabi. Des espaces en constante mouvance, aliénants dans les changements d’école, d’entourage et de culture. Quand l’individu ne sait plus où se situer, il y a un point de repère universel : la musique.

Jain commence les percussions arabes, la derbouka, à 9 ans, puis s’amourache de la batterie synthétique au Congo. « J’ai vraiment commencé à réaliser mes propres chansons à l’âge de 15-16 ans au Congo. J’avais besoin de m’exprimer, de chanter ce que je vivais. Là où j’habitais, il y a eu une personne très importante pour moi : un beat-maker congolais, Mr Flash, qui m’a appris à m’enregistrer à la maison et à créer des instrumentales sur l’ordinateur. Il m’a donné mon premier logiciel de musique (Fruity Loops) et j’ai ainsi pu commencer à mettre mes chansons sur Myspace. C’est ici que tout a vraiment commencé », confie-t-elle dans The Fader.

Son jeu de cartes, elle le constitue également avec les goûts musicaux familiaux. L’Occident comme berceau avec Janis Joplin, la soul d’Otis Redding ou le hip-hop US d’ASAP Rocky et de Joey Badass. Mais aussi un ADN africain hérité de Youssou N’Dour et de Salif Keïta, ou des intonations de Myriam Makeba, que sa mère chérit. Si une culture peut nous emprisonner, plusieurs cultures peuvent nous façonner. Jeanne est accordée aux quatre coins du monde. De ses compositions jusqu’à son nom d’artiste, qu’elle puise dans le chaos tranquille de l’univers. « Je ne voulais pas avoir mon propre prénom, je souhaitais un nom de scène. À 16 ans, je suis tombée sur une citation jaïniste, religion indienne pacifiste. « Ne sois pas désolé de perdre et ne sois pas fier si tu gagnes. » J’ai trouvé cela assez beau et c’était assez proche de mon vrai prénom », raconte-t-elle sur Léman Bleu.

Composant et écrivant ses chansons dès l’âge de 16 ans, elle est repérée sur le Web par le producteur Maxim Nucci (aka Yodelice) : « Je suis revenue le voir vers 22 ans, je n’étais pas prête avant. […] La chanson Come avait déjà six ans pour moi à sa sortie. » Une prépa d’art pour étudier le graphisme, avant que la radio ne déshabille son premier album en 2015. « Zanaka », qui signifie « enfant » en malgache, remporte un disque d’or l’année suivante en France, tandis qu’un prix polonais s’affiche déjà sur le mur de son appartement. Le public la découvre alors dans les médias, affublée d’une robe noire d’écolière et collerette blanche signée agnès b. Elle a tout d’une enfant sage, celle qui envoie des beats assommants sur scène, et la monstruosité d’un talent brut. Un visage poupin conjurant avec l’énergie ostentatoire qu’elle propage, une bouche en coeur qui rappe, écorchant les conventions.

Son deuxième album, « Souldier », connaît tout autant le succès, se hissant en tête des ventes quelques semaines après sa sortie. Sa combinaison bleue et son titre Alright colonisant nos esprits avec l’entêtante persistance d’un tube planétaire. Jain se produit à Coachella, batifolant avec son groove dans les salles américaines : « C’était assez drôle, je faisais des Zénith en France, et d’un coup, je retrouvais des salles qui allaient de 200 personnes jusqu’à 1 000 personnes. Donc, c’est vrai que j’avais l’impression de retourner à la case départ, mais c’était hyper motivant au final. » Prise dans l’engrenage des concerts, elle exprime le besoin de faire une pause. C’était il y a quatre ans.

La carte du Soleil : L’ÉPANOUISSEMENT

C’est dans un cabanon de pêcheur à Marseille, à l’anse de Malmousque, que la chanteuse décide de retrouver l’inspiration. Il y a de la permanence dans un paysage méditerranéen : la mouvance de son souffle et le ressac de la mer : « J’ai toujours vécu près de la mer, à Dubaï, à Pointe-Noire au Congo… J’avais envie de cette vision pour écrire l’album. » Avec sa guitare acoustique, elle retourne aux sources. Pas Manon pour autant ! Plutôt Kate Bush, David Bowie, The Pink Floyd ou Stevie Nicks. Sur le fil de la guitare, funambule instrumentale, Jain se détache des contagions rythmiques de l’afrobeat avec lesquelles on la distinguait. « Aujourd’hui je n’ai pas le même âge, et cela fait très longtemps que je ne suis pas retournée au Congo. […] En tant qu’adulte, ça ne me correspondait plus vraiment personnellement. Là, je voulais aller davantage vers la musique que j’écoute », raconte-t-elle à 20 Minutes. Un virage nous faisant basculer dans le coussin auditif de mélodies réconfortantes : « Pour proposer un voyage différent, des univers différents […] pour ne pas me lasser, moi. »

Matelassé, raccordé psyché et rembourré Seventies. Des mélodies comme des bulles, un album tout en rondeur. Une ronde cosmique composée de onze titres, tournoyant autour du Tarot de Marseille, chaque chanson évoquant une carte du jeu. « Ma mère me tire les cartes depuis toute petite, cela a toujours fait partie de ma vie, de ma culture », confie la jeune femme. Cartomancienne des notes, poétesse en son royaume, c’est néanmoins avec la collaboration de Maxim Nucci (comme sur les précédents albums) qu’elle parfait la production : « On a modernisé l’ensemble avec des sonorités pour que ce ne soit pas un album vintage. » Moderne, intemporelle, la démarche est plus chaloupée : elle nous laisse en orbite. Prendre la fusée avec Jain, c’est embrasser une artiste complète, sa méthode de travail holistique. Dans cet opus ludique, la chanteuse a elle-même illustré sa pochette d’album et des cartes du Tarot de Marseille sont incluses dans celui-ci. Une identité qu’elle épluche avec minutie, jusqu’à ses tenues de scène. Adieu les onze exemplaires de robes noires, adieu les uniformes bleus qui flottaient dans sa penderie. Pour ce nouveau départ, la chanteuse révèle qu’elle aura désormais plusieurs tenues de scène « d’inspiration galactique, cosmique ». De quoi s’envoler, le temps d’un festival.

JAIN « THE FOOL » EN TOURNÉE DANS TOUTE LA FRANCE
www.jain-music.com

© Photos : Manu Fauque