
Florence Denou, l’âme poète et le trait électrique
Elle est l’artiste à son comble : farouche, libre, fragile, imprévisible, écorchée par la vie, « la pute » qui lui en a fait voir de toutes les couleurs… Pourtant Florence les aime les couleurs. Surtout le bleu. Parfois elle s’essaie à d’autres, expérimente de nouveaux matériaux quand elle n’a plus rien à se mettre sous la dent, toujours affamée de créer. Intensément, définitivement, jusqu’à en crever. Inlassablement, ses traits quasi épileptiques envahissent l’espace de la feuille, de la toile, du mur, de l’univers s’il eût fallu. L’art, c’est la vie. C’est la sienne aussi ; c’est beau la vie, c’est joli, surtout quand la chance s’y faufile… Pas facile d’être une artiste reconnue. N’est pas artiste qui veut non plus…



ToutMa : Si vous deviez décrire votre parcours d’artiste en quelques mots…
Florence Denou : Libre. Fait de tours et de détours. Joyeux et cabossé à la fois. Hors cadre, totalement atypique. J’ai un temps été doreuse à la feuille d’or. J’ai appris la peinture d’icônes grecques. Puis j’ai suivi les ateliers des Beaux-Arts et pris des cours de dessin, mais j’ai vite abandonné car j’avais peur d’être « enfermée ». Je cours depuis toujours après la poésie. Je dessine, crayonne, triture les fils et la matière, sculpte et brode depuis petite mais tout ce travail est resté secret durant des années ! Je dois ma sortie du placard à un ami collectionneur qui a parlé de moi à une galerie parisienne…
TM : Comment définissez-vous votre art ?
FD : Tout, dans la création, est un peu mystérieux et quand on commence à vouloir mettre des mots c’est toujours un peu de magie qui s’enfuit… C’est la vibration du monde que je tente humblement de restituer… J’essaye de pénétrer la surface des matériaux et de révéler la profondeur sacrée qu’elles recèlent. C’est ce qui est « au-delà » qu’il me plaît d’explorer. Je cherche une forme de vérité dans la simplicité poussée à l’extrême. Certains voient dans mon travail des paysages, des ruissellements, l’onde, d’autres une écriture secrète, une sorte de partition… Pour moi, mes traits et mes bandes de couleur évoquent surtout une variété d’états émotifs. Le peintre Shitao disait : « Je parle avec ma main, tu écoutes avec tes yeux ». Je rajouterais juste : tu écoutes avec ton cœur…
TM : Votre ardeur à créer, dessiner encore et toujours, sans cesse… comment l’expliquez-vous ?
FD : Je crois que c’est avant tout pour l’exaltation ! Je cherche à m’étonner à chaque fois. À m’émerveiller sans cesse mais sans chercher à plaire sinon on n’entreprend rien. C’est viscéral. Je ne peux vivre sans ma pratique quotidienne. Je travaille de manière quasi religieuse. Dans le dénuement de la nuit. J’aime me tenir loin du monde assourdissant.
TM : Quels sont vos supports de prédilection, vos matériaux d’expression préférés ?
FD : J’aime travailler à l’encre car elle est insaisissable. Et j’aime voir comment chaque feuille de papier la boit, l’absorbe suivant sa composition (coton, glacé, buvard…). C’est fascinant. J’aime aussi les pastels et l’aquarelle. À l’inverse, je ne me risque à la peinture que depuis peu car trop « sacralisée », elle m’impressionne. Je ne travaille qu’avec la peinture vinylique « Flashe » créée pour Vasarely, car elle absorbe la lumière, a un côté velouté et une matité exceptionnelle.
TM : Quels sont les grands moments de reconnaissance artistique dans votre vie, les plus belles rencontres ?
FD : J’ai surtout participé à de beaux projets indépendants, engagés et à la marge… Je retiendrais la présentation du film Sans Titre de Jérôme de Missolz au Centre Pompidou, dans lequel j’incarnais le rôle-titre de la photographe Francesca Woodman. Mais aussi ce jour de joie où LVMH m’a commandé 2 grandes œuvres pour Berluti. Pour le reste, difficile de faire un choix car ma vie a été jalonnée de rencontres étonnantes, rares et précieuses. Je dirais Édouard Baer pour son élégante fantaisie, que je connais depuis l’époque de Radio Nova où j’avais une chronique décalée… Lambert Wilson, et son magnétisme, croisé sur le dernier film d’Émilie Deleuze, le génial et poétique composteur Pierre Daven Keller, mais aussi mon « âme cœur » et si fascinante artiste, Florence Thomassin. Et puis dernièrement à Marseille, Bernard Plasse, véritable poète céleste et fondateur de la galerie du Tableau…
TM : Vous êtes également une actrice à la filmographie gracieuse. Quid de cet autre pan artistique de vous-même ?
FD : J’ai longtemps cru que servir un rôle et dire les mots des autres serait mon seul moyen d’expression. Mon seul partage possible. J’ai aimé. J’aime toujours. J’avoue encore rêver d’un vrai beau rôle de femme, même à mon âge « canonique » (pour le cinéma) où ils se font plus rares, mais je n’attends rien et dire l’indicible sans les mots, juste avec la main et dans le recueillement de la nuit me va. Éperdument.

Exposition collective « Sieste, songe et légèreté » du 17 juin au 2 Août
Une maison à Saint-Tropez, Place des Lices
17 avenue Foch, Saint-Tropez
Exposition « Rien. Ou presque. », avec aussi des photographies de Sophie Denou du 7 au 30 Juillet
Studio/Galerie Florence Denou
32 place Victor Gelu, Marseille 2e
Photos (c) MONA GRID