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Charlène Favier, sur les pistes du succès

Avant de s’installer à Marseille, où elle a suivi son compagnon il y a un an et demi, la réalisatrice Charlène Favier, originaire du Val d’Isère, appréhendait son déracinement. Aujourd’hui, elle n’imaginerait pas vivre ailleurs. Troquer téléphériques et après-ski pour les abords du Cercle des nageurs et le parcours de jogging de la Corniche n’avait pourtant rien d’évident. Mais à y regarder de plus près, entre nature omniprésente et sport porté aux nues (ses deux grandes passions), le fil rouge est flagrant entre les pentes alpines et le littoral méditerranéen. Slalom, son premier long métrage, dont la sortie a déjà été repoussée deux fois en raison de la fermeture des salles, rencontrera enfin le public français le 19 mai. Et comme par un atavisme marseillais, preuve que l’adoption fonctionne, c’est d’abord aux États-Unis que son succès s’est fait unanime.   

L’alignement des planètes 

En soi, pour un film d’auteur français à petit budget, cumuler 100 % d’avis positifs sur l’agrégateur de critiques Rotten Tomatoes, c’est déjà un exploit. Une prouesse qui n’est pas si étonnante à l’ère #MeToo, mais replaçons le contexte. En 2015, deux ans avant la publication de l’enquête de Ronan Farrow dans le New Yorker et après avoir sillonné le monde sac au dos pendant des années, Charlène Favier entre à la FEMIS avec la ferme intention de raconter son histoire, celle des abus sexuels perpétrés dans le sport de haut niveau. On ne parle pas encore de « problème systémique » ni même de « male gaze », et à vrai dire, on n’a pas les mots pour nommer ce que tous les acteurs de terrain savent mais cachent, souvent faute de savoir comment l’exprimer et toujours écrasés par une omerta coupable. Alors Charlène tâtonne à l’écriture de son scénario, avant de réaliser qu’il n’y a qu’une seule façon de faire comprendre la brutalité du viol et du phénomène d’emprise au spectateur : rester tout du long dans la subjectivité de son héroïne, incarnée à la perfection par la jeune Noée Abita. Pas de théorie, pas de moralisme, juste la réalité crue et frontale de Liz, une championne de slalom de 15 ans qui tombe peu à peu sous l’emprise de son coach avant de trouver, dans un moment remarquable de justesse la force de dire « non ». Filmer la jeune fille à hauteur d’épaule (comme auparavant les frères Dardenne dans Rosetta), rendre l’oppression palpable avec un univers sonore particulièrement bien calibré et marquer l’adversité des protagonistes avec une photographie superbe qui fait la part belle aux contrastes… il fallait inventer une grammaire cinématographique pour dire ce que plus tard psychologues et théoriciens du cinéma allaient poser, décortiquer, théoriser à longueur de colloques et d’articles. Charlène avait déjà quelques années d’avance. En 2020, porté par une équipe qui y croit, du producteur au diffuseur en passant par tous les techniciens, le film voit le jour et a l’occasion de rencontrer un public enfin prêt à le recevoir. 

Le sens de l’engagement

Le film est dur, mais pas plus que la réalité. Il a même une grande délicatesse dans sa façon de figurer les états d’âme de Liz dans des plans de montagnes tantôt empreintes de sérénité, tantôt stoïques sous un déluge de neige. C’est l’équilibre qu’il fallait pour dénoncer, toucher et inspirer de l’espoir. Les institutions de s’y sont d’ailleurs pas trompées. 

Sélectionné à Cannes en 2020, le film devrait participer à l’ouverture du festival cette année, en tant qu’invité d’honneur ; et le ministère des Sports, longtemps sourd aux dénonciations de viols au sein des centres de formation de jeunes sportifs, a pris la balle au bond en devenant partenaire du film. L’OM également a décidé de s’engager et de se servir de Slalom comme d’un support pédagogique qu’il diffusera à ses joueurs. 

Charlène, qui tient à s’investir pleinement dans l’écosystème culturel et sportif local, devrait elle-même participer à ces ateliers, ainsi qu’à différents festivals de cinéma sudistes, comme les Rencontres cinématographiques de Salon de Provence avec Films Femmes Méditerranée.  Et quand on voit ce qu’elle a su faire de la montagne, on se demande ce que la réalisatrice, très ancrée dans son environnement, sera capable de nous raconter avec la mer en toile de fond. Elle y pense déjà et les projets se bousculent, notamment une série qui aura Virginie Efira pour tête d’affiche et dont l’une des saisons se déroulera… À Marseille !

Mais on ne vous en dit pas plus, on préfère vous inviter à vous précipiter dans votre cinéma de quartier pour donner à Slalom, après un succès critique flamboyant, le succès public qu’il mérite.  

Slalom

En salle le 19 mai

Un film de Charlène Favier

Avec Noée Abita, Jérémie Renier, Marie Denarnaud, Muriel Combeau, Maira Schmitt, Axel Auriant

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