
Festival de Vauvenargues du 18 au 23 juillet, la grâce du violon de Bilal Alnemr
Vous connaissez peut-être déjà la vie de Bilal Alnemr. On l’a racontée plus d’une fois dans la presse. Elle est aussi insolite que puissante, touchante et exemplaire. Son histoire, c’est celle d’un enfant syrien qui au berceau reçoit de son père un jouet, un petit violon à 4 boutons en lieu et place des cordes, avant de se voir mettre entre les mains un véritable instrument en bois, avec son archet. C’est celle d’une famille soudée qui, devant le talent phénoménal de son enfant, met tout en œuvre pour lui donner accès à une formation académique digne de ses prédispositions, gageure dans un pays où les ouds sont plus nombreux que les violons et où bientôt, la guerre éclate…
L’épopée franco-syrienne
Dès qu’il commence à frôler les cordes de son violon, Bilal se fait remarquer par tous les professeurs des conservatoires de Syrie, qui sont vite dépassés par son extrême habileté et son insatiable soif d’apprendre. Il enchaîne les premiers prix et son talent le conduit même à représenter son pays à l’étranger, dans le cadre des rencontres organisées en Grèce par les Échanges culturels en Méditerranée (ÉCUME), alors qu’il n’a que 10 ans. Repéré en 2009 aux Rencontres de Damas par les violonistes Sophie Baduel et Michel Mabire qui lui proposent de poursuivre ses études en France pour pouvoir progresser, il débarque au Conservatoire d’Aix-en-Provence six mois seulement avant le début de la guerre civile syrienne. Resté sans voir ses parents pendant sept ans, il réussit, avec l’aide de l’ambassadeur de France au Liban, à leur obtenir des passeports.
Deus ex machina, ils sont encore dans l’avion lorsque Béatrice Albert (du Festival d’Aix) demande à Bilal s’il ne connaîtrait pas une famille de Syriens qui aurait besoin d’un logement, le village de Vauvenargues, fidèle à sa tradition d’hospitalité, proposant d’accueillir des réfugiés. Quelques années plus tard, pour remercier le village de son accueil, Bilal y organise un concert de musique classique, qui devient officiellement le Festival de Vauvenargues les années suivantes. Le storytelling est parfait, il y a tous les ingrédients d’une fresque familiale miraculeuse avec en plus l’estampille « histoire vraie ». Et puis soyons honnêtes, on voudrait voir l’épopée de Bilal adaptée au cinéma. Pourtant, en écoutant le musicien nous la raconter, on se rend compte que c’est là que se situe tout le problème.


Photo 2 : © Raphotographie1
La philosophie Barenboïm
L’histoire est tellement belle, le talent d’instrumentiste de Bilal tellement « monstrueux », au sens étymologique de « ce que l’on montre », qu’ils tendent à prendre le pas sur l’essentiel, à savoir la musique. Bilal voudrait que l’on parle de son art et s’il raconte volontiers son histoire, c’est d’abord par reconnaissance envers tous ceux qui l’ont aidé. Chez lui, il n’y a pas de posture, et comme souvent chez ceux dont on voit le talent sans remarquer le travail et sans deviner les obstacles qu’ils ont dû surmonter, Bilal est ambivalent sur l’exemplarité d’un parcours dont l’excellence éclipse les difficultés. « Je n’avais pas le choix, je devais réussir. C’était ça ou retourner en enfer. Je sais ce que ça veut dire d’être exilé », nous dit-il, ajoutant que son interprétation du répertoire classique porte la marque de la séparation. Mais comment parler de musique sans raconter sa vie, quand sa vie elle-même incarne l’essence de son discours sur la musique ? Comme si les deux étaient indissolublement liées. La clef de ce paradoxe se trouve dans sa rencontre, en 2018, avec « le génie visionnaire », le « philosophe activiste » et chef d’orchestre Daniel Barenboïm, qui l’admet comme disciple et l’accueille dans son ensemble. Un « activiste à travers la musique », comme l’explique Bilal, « qui ne fait pas de discours politique mais pratique une musique qui est un pas vers l’humanité », en faisant jouer dans son orchestre, le West-Eastern Divan Orchestra, de jeunes musiciens venus d’Israël et de pays arabes voisins, dans le but de promouvoir le dialogue et la paix entre pays juifs et arabes. À l’image du Divan, la pratique musicale de Bilal est une ouverture vers l’autre, comme en témoignent les nombreuses associations qu’il a créées, que ce soit celle du Festival de Vauvenargues ou encore des Cordes de Shams, dans laquelle il soutient « des musiciens exilés en Europe, porteurs d’un talent rare mais freinés par un manque de ressources ». Parmi ceux-ci, Nadim Husni, son ancien et premier professeur, à qui il a commandé des pièces qui ont été jouées lors du concert de lancement de l’association, au Méjan d’Arles. La musique comme pont entre les cultures, lieu de réconciliation, de fraternité et langage universel où chacun existe comme individu sur sa partition, tout en appartenant à un ensemble harmonieux plus grand que lui-même, c’est toute la vision de Bilal qui rêve d’apporter un jour la musique classique en Syrie, peut-être à Ugarit où, en 1929, des archéologues français ont découvert la plus ancienne notation musicale gravée dans l’argile, les « chansons harraniennes » (1 400 avant J.-C.). Et cette étrange façon qu’a la vie de développer, comme la musique, des variations sur un même thème…
18 AU 23 JUILLET 2025
Ugarit-en-Provence
Festival de Vauvenargues
festivaldevauvenargues.fr
4 OCTOBRE 2025
Les Cordes de Shams
Méjan d’Arles
lescordesdeshams.fr
Photo en Une : Bilal Alnemr et Jorge Buajasan © Festival de Vauvenargues 2024