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Yves KLEIN, Jusqu’au 26 mars 2023

Dans l’histoire de l’art, comme dans le journalisme, il y a des serpents de mer. Des sujets, des débats, qui reviennent régulièrement, avec leurs variantes plus ou moins heureuses. Il y a bien sûr celle de l’œuvre que l’on doit ou non séparer de l’artiste et qui procède d’un questionnement autrement plus intéressant, une fois débarrassé de ses oripeaux moralisateurs : peut-on comprendre une œuvre indépendamment de la vie de son auteur ? Selon les artistes et selon leur démarche, c’est une question plus ou moins pertinente. Concernant Yves Klein, que l’on a trop souvent réduit à la notion de monochrome et à sa couleur mythique, l’IKB (International Blue Klein), c’est non seulement une question intelligente mais c’est aussi une affaire de réparation. Réparation à laquelle s’attèle cet automne l’hôtel de Caumont en présentant une soixantaine d’œuvres et des archives exceptionnelles.

Jonathan Swift, vers 1960

Art martial et art spatial

Yves Klein aurait fait de la musique qu’il aurait eu une dérogation pour entrer dans « le club des 27 ». Décédé à 34 ans d’un arrêt cardiaque que le mythe associe au choc causé par une mauvaise lecture de son œuvre, tournée en ridicule dans un film diffusé à Cannes en 1962, le plasticien prodige a une place centrale dans la révolution des arts plastiques du XXe siècle. À la fois « théoricien » et « praticien », ou plutôt créateur-artisan-performeur, il a très longtemps été assimilé au brevet industriel déposé pour protéger la formule chimique de son hallucinant bleu outremer. Pour autant, on comprend mieux sa démarche en le présentant comme un judoka que comme un chimiste.

Fils de peintres, Fred Klein et Marie Raymond, Yves Klein a en effet mené de front une carrière artistique et une carrière dans le judo. Mais pour bien comprendre de quoi l’on parle, il faut recontextualiser. Dans les années 1930-1960, le judo est presque plus une philosophie qu’un sport à proprement parler. La maîtrise du corps est centrale dans la pratique de la discipline et l’art martial est aussi un art de l’espace, du mouvement et du contrôle. Or, en la matière, Yves Klein est un réel professionnel. Formé au Japon, il a enseigné en Espagne, allant jusqu’à intégrer ses toiles dans son dojo, dans un esprit d’art total. En ayant ces éléments à l’esprit, on comprend mieux son rapport à la corporalité, notamment à celle de ses modèles qui impriment leurs corps (statiques ou mobiles) sur la toile et sous ses instructions (les Anthropométries). On comprend aussi mieux que ce qui compte, c’est le mouvement du corps plutôt que le geste de la main, raison pour laquelle Yves Klein peignait au rouleau et non au pinceau, raison encore pour laquelle les mains de ses « tampons et autres pochoirs » humains n’étaient jamais imprimés sur ses toiles.

Un rapport d’immédiateté aux choses

L’artiste ambitionne un rapport immédiat à l’art, aux impressions qu’il produit chez le spectateur, sans le truchement de l’outil du peintre, lequel, on l’a vu, est avant tout l’agent d’une autodiscipline exemplaire, et sans les connotations culturelles habituelles qui précèdent la rencontre entre le spectateur et le tableau. Le bleu lui apparaît ainsi comme une couleur « hors dimension », « ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible », rappelant tout au plus le ciel ou la mer. Avec la notion d’impression, l’idée d’imprégnation est également très présente dans son œuvre. C’est ainsi que les éponges naturelles avec lesquelles il réalise ses monochromes deviennent métaphoriquement les spectateurs de ses toiles, sur lesquels s’est imprégné le bleu de la toile. Elles rejoignent donc tout naturellement, en tant que sculptures, l’inventaire de ses œuvres présentées à Aix.

«C’est conceptuel», êtes-vous certainement en train de vous dire. À vrai dire, oui, mais c’est surtout d’emblée profondément cohérent pour une démarche d’expérimentation et d’avant-garde, qui par définition procède par tâtonnements. D’ailleurs, en rendant accessibles de nombreuses archives, l’exposition de l’hôtel de Caumont montre l’importance des échanges entre Klein et ses contemporains européens du Nouveau Réalisme. On saisit alors à quel point le Niçois doit être perçu comme un pionnier. C’est l’un des premiers en Europe à faire l’expérience d’une forme d’art corporel (dont on trouve les racines au Japon, vous voyez le lien…), ou à mettre la performance (tout en effaçant l’artiste, ce qui est paradoxal) au cœur de son projet créatif, en immortalisant par exemple sur pellicule la réalisation de certaines de ses Peintures de feu.

Gageons qu’aujourd’hui, plus sensibilisé qu’hier à la puissance des couleurs en elles-mêmes, notamment grâce à l’essor du design et de l’architecture d’intérieur, le grand public sera enclin à reconsidérer, sous un angle biographique éclairant, l’œuvre de ce célèbre méconnu de l’art contemporain.

YVES KLEIN, INTIME

Du 28 octobre 2022 au 26 mars 2023

HÔTEL DE CAUMONT-CENTRE D’ART

3 rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence

www.caumont-centredart.com

Description de l’image mise en avant : Yves Klein dans son atelier, entouré de ses Sculptures Éponges, Paris, 1959