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Valérie Müller & Angelin Preljocaj mènent la danse

Couple à la ville, la réalisatrice et le chorégraphe signent ici leur première réalisation commune. A travers l’histoire de Polina – danseuse classique promise au Bolchoï basculant vers un autre destin – Valérie Müller par l’écriture, et Angelin Preljocaj avec la danse, apportent au récit force émotionnelle et universalité. Ici, la vie entre dans la danse. Au-delà de l’histoire, le film révèle des acteurs dans la danse, et des danseurs dans le jeu. Moments de grâce et d’émotion au rendez-vous… 

ToutMa : Quels éléments narratifs vous ont tant séduits dans la BD de Bastien Vivès pour vous décider à l’adapter au cinéma ?

Valérie Müller : Bastien Vivès a su traduire la vie réelle de jeunes danseurs qui se côtoient, échangent et font la fête. Nous ne sommes pas dans les stéréotypes de la danseuse, un peu hystérique, souvent anorexique, victime de rivalités. Pour une fois, il est question d’un monde de jeunes  passionnés, qui travaillent beaucoup mais profitent de la vie.

Angelin Preljocaj : Ce qui m’intéressait c’était le parcours. Comment les fragilités d’un individu peuvent au final être les ressorts de sa créativité et de sa réussite. L’obstination et l’endurance font la force de certains artistes. J’ai trouvé la BD très juste à ce propos.

TM : En quoi consistait le travail d’adaptation ? 

VM : Ancrer le récit dans le parcours initiatique de Polina. Représenter la rigueur du travail dans les studios, l’univers de création à travers l’improvisation, la danse fantasmée et sa représentation sur scène. Créer une narration qui intègre tous ces aspects de la danse. Nous voulions aussi fixer le récit dans un contexte social en référence à plusieurs personnalités du monde de la danse. Un milieu souvent modeste comme celui d’où vient Angelin mais aussi Pina Bausch, Noureev… avec l’idée que quand on n’a rien, on a toujours un corps qui, par le travail, peut devenir un objet de revendication politique, l’expression même d’une indépendance.

TM : Comment s’est passée cette première co-réalisation ? 

VM : On départ, on s’était dit « chacun son domaine de compétence », moi sur le jeu des acteurs, Angelin la caméra et puis, tout est devenu extrêmement poreux au fil du tournage. Angelin était tout de même particulièrement investi dans les scènes de danse !

AP : On a failli divorcer !! (rires). Non, mais il y a toujours des moments difficiles, de tension, car il y a toute une équipe derrière et des choix à faire, mais finalement, nous étions d’accord sur l’ensemble des décisions à prendre. Didier Crest, notre producteur nous a fait confiance dès le départ en nous laissant réaliser le film ensemble.

TM : Que voulez-vous faire passer à travers le personnage de Polina ? 

VM : Polina est un personnage féminin fort qui va se construire dans la déconstruction. A un moment, elle fait fasse à ses contradictions, ses doutes et apprend de ses expériences. Ses incertitudes, ses cassures la forgent…

AP : On se construit avec ses points forts mais aussi avec ses failles. Polina est emblématique d’un parcours de vie artistique avec une trajectoire singulière façonnée par son propre vécu.

Polina, Danser Sa Vie
en salle le 16 novembre.

TM : Comment avez-vous trouvé votre Polina ?

AP : On a auditionné près de six cents filles entre l’Europe et la Russie. Nous avons fait des essais danse qui nous ont permis de faire une première sélection, puis des essais caméra. Anastasia Shvetsova s’est démarquée par ses qualités de danseuse et sa présence devant la caméra. Elle est en retrait tout en étant très forte, comme Polina. Elle n’est pas bavarde dans le film mais ses regards intenses et l’expression de son corps dit tout.

VM : Elle a quelque chose de très fort à l’image. Quelque chose en plus qui relève du mystérieux… Anastasia a appris le français pour le film, Angelin a créé le duo final avec et pour elle. C’était fort de vivre cette aventure avec elle.

TM : Vous avez même ouvert des perspectives semble-t-il ?

AP : Oui ! C’est étonnant, le parcours d’Anastasia ressemble à celui de Polina. Elle était à l’illustre Ecole du Ballet Vaganova et, au moment où elle intégrait le Théâtre Mariinsky, on lui propose le film. Cette expérience a chamboulé ses choix de vie. Aujourd’hui, elle se pose beaucoup de questions, souhaite se tourner vers la danse contemporaine et pense à devenir chorégraphe !

TM : Pourquoi Jérémie Bélingard, danseur étoile du ballet de l’Opéra de Paris dans le rôle de Karl ?

AP : J’avais travaillé avec Jérémie à l’Opéra de Paris et j’ai rapidement voulu faire des essais avec lui. Il est brillant, attachant et s’est révélé très instinctif, à l’aise et naturel devant la caméra. Une vraie révélation !

TM : Et Juliette Binoche en guest star ?

AP : On cherchait une comédienne qui ait une véritable histoire avec la danse. Elle a tout de suite dit oui et, dans son rôle de chorégraphe, elle est très naturelle, on est loin du cliché. Aussi, avec une grande générosité, elle a insufflé dans le film à tous les danseurs un niveau d’exigence du jeu d’acteur incroyable et elle les a tous aidés.

VM : C’était plaisant d’ailleurs durant le tournage, cette porosité qui s’est installée entre les acteurs et les danseurs ; ils avaient une sorte de fascination les uns pour les autres et cela a créé une émulation. C’était un pari pour nous et ça a fonctionné.

AP : Avec une conviction presque intuitive, on voulait que toutes les scènes dansées le soient vraiment parce qu’avec une doublure, on allait perdre l’émotion, l’essence même du jeu d’acteur qui se poursuivait naturellement avec le corps. Niels  Schneider par exemple continue son jeu d’acteur quand il danse et c’est vraiment ce que l’on recherchait. Il nous a d’ailleurs bluffé !

TM : Angelin, parlez-nous de la création du magnifique duo final ? 

AP : Ce duo je l’ai créé pour Anastasia et Jérémie et je dois dire que l’on a beaucoup répété. C’était la première fois qu’ils dansaient ensemble, Anastasia est très douée mais il y a une technique à acquérir. Quant à Jérémie il fallait aussi qu’il s’adapte à mon travail de chorégraphe pour arriver à cette fluidité et parvenir à une grâce dans l’interprétation. On a travaillé des semaines en dehors du tournage et comme c’était filmé en plan séquence, on l’a tourné 28 fois pour trouver la bonne écriture de la caméra par rapport aux danseurs. Anastasia et Jérémie l’ont donc dansé 28 fois !

 

Lire aussi l’interview de Juliette Binoche.

Entretien _Emmanuelle VIGNE
Photo en Une _Philippe Quaisse
Photo du Film _Carole Bethuel