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Rudy Ricciotti, Archi Rebelle…

L’architecte Rudy Ricciotti est un personnage haut en couleurs dont le talent est reconnu dans le monde entier. Dans quelques mois sera inauguré le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) sa dernière œuvre. Cet homme-là n’a pas sa langue dans sa poche. Grand Prix National d’Architecture, Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier des Arts et des Lettres, Officier de l’Ordre National du Mérite, sa manière de répondre n’a pourtant rien de conventionnel…

ToutMa : Vous êtes né en Algérie, vous avez fait vos études à Genève (Ingénieur en 1974) et à Marseille (Ecole d’architecture de Luminy en 1980), vous vivez entre Bandol et Marseille, votre nom est de consonance italienne, expliquez-nous qui vous êtes…

Rudy Ricciotti : Un citoyen caractéristique de la Méditerranée. C’est à dire psychopathe, maniériste et orchidoclaste.

 

TM : Quel est votre attachement à Marseille, ville forte du Bassin Méditerranéen ?

RR : A 16 ans j’habitais un studio rue Breteuil car je m’étais fait virer de l’internat du lycée Diderot pour motif : pétanque sur le carrelage du dortoir. J’attrapais et cuisinais les pigeons du Vieux-Port par gourmandise et non par faim. Les souvenirs fabriquent de l’identitaire inaliénable.

 

TM : On dit que vous êtes un homme libre, quelle est la part de liberté dans votre travail selon l’usage de l’ouvrage ?

RR : Je suis libre d’être couillon, d’être imprudent et ne suis pas courtisan. J’ai toujours refusé d’avoir la circonférence de la bouche au format exact de la bite du pouvoir. Je ne suis pas fellationiste par instinct mais onaniste par contrition mystique.

 

TM : L’anxiété fait partie de votre fonctionnement dans le travail, c’est même un moteur chez vous. Comment le vit votre équipe ?

RR : Oui, la difficulté d’être de l’architecture est une question existentielle, je suis donc au travail un anxieux dans toute sa verticalité religieuse, mais pas à l’horizontale je vous l’assure… Je les stresse mais comme mon agence est celle qui paye le mieux dans le sud, que je suis souvent absent et que le lieu où ils travaillent est très charmant, ils sont hilares au moins à 50%.

 

TM : Dans une œuvre architecturale quelles sont les parts de technique, d’esthétique et de poésie ? Prouesses techniques et esthétiques font-elles bon ménage ?

RR : Le principe est sadomasochiste. L’idée est de placer la physicalité de la matière sous la dictature des mathématiques. Très vite le principe de torture fait réagir le réel. Or le dernier projet romantique et révolutionnaire est la transformation du réel.

 

TM : Quel est le projet de votre vie qui vous a donné le plus de difficultés ? Est-il celui dont vous êtes le plus fier ?

RR : Le projet du Louvre, inauguré mi-septembre, m’a brûlé pendant huit ans. La bureaucratie incompétente de l’établissement public m’a plus bouffé d’énergie que le chantier lui-même. Je garde néanmoins le souvenir de l’excellence des ouvriers sur des semaines de 60 heures, ce qui leur laissait la moitié du temps tranquille pour travailler sans la bureaucratie fasciste.

 

TM : Qu’est-ce qui a fait la différence face aux autres concurrents pour l’obtention de ce projet marseillais ?

RR : J’avais couché avec tous les vieux garçons du jury et à l’époque j’offrais mon corps à qui le voulait, au hasard et à l’aveugle. Ça m’a aidé !

 

TM : Il se dégage une forme d’orientalisme et une certaine féminité du MUCEM. Est-ce l’idée que vous vous faites de la Méditerranée ?

RR : Je me fais une idée complexe de la Méditerranée. Rappeler sa féminité, c’est tenir la dragée haute aux barbus et autres beaufs ! La Méditerranée est autant au nord qu’au sud. La Méditerranée ne peut se renouveler sur elle-même, d’autres influences externes à son périmètre historique lui sont nécessaires. Et puis être Méditerranéen n’est pas un extrait de naissance mais un voyage mental.

 

TM : Durant ces dix dernières années, avez-vous parfois douté de vous ?

RR : Non ! Porcius Latron ce philosophe disait « nul n’est bon volontairement ».

 

TM : Pourquoi avoir relié le MUCEM au Fort Saint-Jean ? Quelle est la part d’histoire du fort dans les civilisations méditerranéennes ?

RR : Vos questions sont très universitaires… à un moment, le mot « méditerranéen » va finir par nous dégoûter comme le vin de Bordeaux tant sa déclinaison commerciale est fréquente. Ça me fait penser au mot « durable » qui lui est devenu pornographique. Alors : 1 : Relier au Panier c’est augmenter la porosité sociale. 2 : Le Fort Saint-Jean fut le lieu du massacre des Jacobins, que l’on s’en souvienne !

 

TM : On pourra avoir accès gratuitement aux extérieurs du MUCEM. Etait-ce un point important pour vous ?

RR : Très important… C’était une volonté dès l’origine, y compris et surtout, sur les rampes périphériques, même si pour des raisons de sécurité anti-vandales il faut faire payer un prix symbolique d’un euro.

 

TM : Dans laquelle de vos œuvres vous incarneriez-vous ?

RR : Je n’ai pas atteint encore le moment de la psychanalyse. Plutôt que de me poser des questions à la con, si je vous servais un pastis ?

 

TM : Que répondez-vous à ceux qui n’aiment pas votre travail ?

RR : Je les emmerde.

 

TM : Quelle est la distinction qui vous a le plus empli de bonheur ?

RR : Trois fois père et trois fois grand-père.

 

TM : Quelle est votre part d’humilité dans le travail ?

RR : Tout faire pour valoriser le travail des hommes sur le chantier. Contribuer par la nature de mon architecture à défendre l’emploi non délocalisable. Participer à renouveler la mémoire du travail. Défendre les chaînes courtes de production contre les productions externalisées. J’aime les gens du bâtiment, je leur dois tout.

 

TM : Vous avez aujourd’hui une renommée internationale, dans quel pays aimeriez-vous laisser votre empreinte ?

RR : J’ai eu des projets inaboutis à Pékin, Shenzhen, Canton, Tokyo, Berlin, Osaka, Tunis, Alger, Casablanca, Gdansk, Venise, Bruxelles, Charleroi et en Suisse… chaque fois j’ai perdu du temps et de l’argent. Mon rêve pour défendre les emplois de mon cabinet est de continuer à travailler en France.

 

TM : Vous avez travaillé en tandem avec Mario Bellini pour la dernière tranche du Grand Louvre inaugurée en septembre. 2800 m2 pour « le département des arts de l’Islam », le projet va-t-il surprendre autant que la pyramide en son temps ?

RR : Non, ce n’est pas Dallas, JR et Sue Ellen avec comme perspective métaphysique une porte de supermarché pour rentrer dans une pyramide. Si belle soit-elle, elle reste une vision très anglo-saxonne du principe de beauté. L’ensemble étant augmenté de la transparence comme illusion de la démocratie. On arrivera par le sous-sol et ce sera plutôt le voyage du Persan à Paris de Montesquieu ou Belphégor !

 

TM : Gérald Passédat dit de vous qu’il y a une part de romantisme dans vos œuvres et plus particulièrement dans le MUCEM. Il est très honoré d’ouvrir plusieurs établissements culinaires dans ce lieu aussi prestigieux. Qu’attendez-vous de lui ?

RR : Le meilleur. Qu’il défende l’excellence des travaux de table et sa cuisine des abysses pour le palais. Et très important concernant la carte : ne pas oublier le blanc de Cassis et le rouge de Bandol. Il faut lui rappeler cette obligation…

 

 

 

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