ORA-ÏTO, coup d’œil dans le rétro… vers le futur
Un enfant de la Méditerranée qui fait des vagues, forcément, cela remue le milieu du design. Depuis vingt-cinq ans, Ora-ïto s’est construit un nom et un empire projet après projet, et parfois entre deux controverses, jusqu’à faire résonner son alias bien en dehors des frontières de l’Hexagone. Fervent défenseur d’une épure qu’il appelle « simplexité », son trait rond frôle l’ascèse sans jamais oublier de se faire remarquer.
En cette rentrée 2024, la vague Ora-ïto s’associe au constructeur automobile Renault pour livrer un concept-car aux allures de Madeleine de Pro(u)st : une revisite du coupé sport R17, un modèle au look très racé et à la ligne angulaire et musclée, qui a vu le jour en 1971, mais dont la production a cessé avant le début des années 1980. Rencontre avec le designer entre deux rendez-vous et pas mal d’autres interviews, tant cette restomod R17 x Ora-ïto semble séduire les foules.
« Si j’avais dû dessiner une voiture, je n’aurais jamais dessiné ça »
Et pourtant, le pari est gagnant. Sur le spectre du design, le coupé Renault se situe en effet à l’opposé de l’univers visuel du designer, ce qui l’a d’ailleurs « angoissé », au départ : « C’était très perturbant. J’ai hésité, je ne trouvais pas l’angle… Mais [l’équipe Renault] m’a vite mis en confiance, j’ai pu quasiment tout changer. […] C’était agréable de se faire violence, de se travestir un peu. »
Neuf mois plus tard, on appréciera le symbolisme, on ne devinerait pas ses hésitations : la R17 est transfigurée. Le trait d’ïto frôle la nostalgie tout en évitant la facilité d’une parodie 70s : la carrosserie conserve son caractère bien trempé, chose étonnante quand on connaît l’univers d’ïto, et contraste avec un habitacle où le bois, les tissus bouclette et la moquette donnent des allures de cocon rétro.
Ce mélange entre douceur et caractère a beaucoup à voir avec la teinte bien particulière de la carrosserie, un brun « galactique » entre le taupe et l’anthracite, inspirée du metallic brown de Porsche : « J’ai été obsédé par cette couleur, explique le designer. C’est le brun du passé, sous le prisme du futur. » Déclinée en camaïeu dans tout l’habitacle, cette nuance subtile développée par la marque au losange pour l’occasion agrippe le regard… et donne envie de se mettre au volant, tout simplement. « Je pense que les gens ont besoin de retrouver de l’élégant… On l’a vu avec les films de Delon récemment, il y avait une élégance à l’époque qu’on a perdue. […] On fait du pratique aux dépens de l’esthétique : mais le moment en voiture doit être un confort, une expérience », conclut-il.
Du mouvement, des formes et de la matière
Si la foule se rue sur la R17, Ora-ïto n’en est pas à son coup d’essai en termes d’engins dynamiques : des concept-cars UFO avec Citroën à la marque de vélos Angell, en passant évidemment par le tram de Nice et le métro de Marseille, la mobilité est un de ses domaines de prédilection. « J’aime les choses dynamiques, qui défient les lois de la gravité, en mouvement », nous dit-il.
Peut-être est-ce alors pour contrebalancer (ou parfaire ?) cette fuite vers l’avant que le designer s’essaie au tablier d’artiste depuis quelques mois. Son exposition « Grammatology », inaugurée cet été à Saint-Paul-de-Vence puis à Marseille, aux galeries Podgorny et 313, présente des œuvres abstraites et immobiles, mais infusées d’une apesanteur dynamique. Un genre d’alphabet de ses formes et de ses matières qui lui offre un premier « sold-out », sourit l’artiste, et surtout lui ouvre de nouvelles passerelles créatives : la déferlante Ora-ïto n’est pas près de s’arrêter, et l’art contemporain n’a qu’à bien se tenir…