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Noël en Provence, quand tradition fait loi !

 

Les santons de Provence ! La crèche, avec ses personnages emblématiques : l’enfant Jésus, saint Joseph, la Vierge Marie, le bœuf, l’âne, les bergers, le vieux et la vieille, le ravi, le tambourinaire, le pêcheur, la poissonnière, le porteur d’eau… Un inventaire à la Prévert qui n’a que peu de rapport avec l’histoire sainte, et tout à voir avec le folklore provençal. Et il est vrai, sa fusion avec le récit biblique est fascinante, les deux mythologies ayant à ce point fusionné que les santons de Provence incarnent la Nativité et la fête chrétienne de Noël dans le monde entier…

Et en littérature ? Les écrivains provençaux, fiers de leurs traditions, se sont saisi de cette richesse. Commençons par le plus cinématographique d’entre eux, Marcel Pagnol. Dans Le Château de ma mère, l’oncle Jules, fervent chrétien (à l’inverse de Joseph Pagnol , instituteur donc laïque convaincu) raconte qu’ayant assisté à la messe de minuit à l’église de La Treille, il a entendu des Noëls provençaux de toute beauté. On est en 1910, mais déjà Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904, évoque dans Mes origines les Noëls de son enfance, empreints de tradition et mélangeant allègrement traditions païennes et mysticisme chrétien : « Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la « bûche de Noël », qui – c’était de tradition – devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi, le dernier-né, de l’autre ; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit. »

Le cérémonial de la bûche calendaire, qui aujourd’hui s’est transformée en bûche comestible, n’est d’ailleurs que l’arrivée d’un parcours à étapes qui démarre à la Sainte-Barbe, avec le blé de l’espérance, la Sainte-Lucie et ses lumières, le pastrage et la pastorale, pour se terminer par l’Épiphanie et la Chandeleur. 

Mais ne nous cachons pas derrière la bûche et les prétextes mystiques ; si les Noëls provençaux restent dans toutes les mémoires et se transmettent à travers les générations, c’est aussi (surtout ?) parce qu’ils réunissent les familles, les fratries, les villages autour de réjouissances toutes païennes : des festivités gourmandes. C’est en effet à une pléthore de détails gustatifs (et pas du tout vegan, n’en déplaise aux amis des animaux) que l’on reconnaît l’arrivée de Noël : « Les gens de l’endroit, fidèles chrétiens, préparaient leur réveillon huit jours à l’avance et c’étaient, du matin au soir, d’innombrables convois de victuailles : charretées de cerfs et de sangliers morts, homards ficelés, poissons par pleines hottes, huîtres en bourriches, poules et coqs pendus tête en bas, au bât des montures ; moutons gras destinés à l’abattoir ; canards et pintades, troupeau blanc des oies qui panardent ; troupeau noir des dindes qui secouent leur jabot violet ; sans compter les bonnes femmes de la campagne portant dans des paniers des fruits de verger mûris sur la paille et des raisins conservés frais, des melons blancs d’hiver, des œufs et du lait pour les crèmes, du miel en gâteau et en pot, des fromages et des figues sèches », écrit Paul Arène en 1890. 

Alors, futile, le Noël provençal ? Que nenni. Cette appartenance aux traditions, cette volonté de prolonger le partage au-delà d’un simple espace géographique permet aussi de surmonter les épreuves. Salvette et Bernadou, Provençaux en prison sous la plume d’Alphonse Daudet lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, ne reprennent courage qu’à l’évocation de leurs origines : « Aujourd’hui cependant il s’est animé un peu, en pensant à cette belle fête de Noël qui dans nos campagnes de Provence ressemble à un grand feu de joie allumé au milieu de l’hiver, en se rappelant les sorties des messes de minuit, l’église parée et lumineuse, les rues du village toutes noires, pleines de monde, puis la longue veillée autour de la table, les trois flambeaux traditionnels, l’aïoli, les escargots et la jolie cérémonie du cacho fio (bûche de Noël) que le grand-père promène autour de la maison et arrose avec du vin cuit. » 

Et Pierre Magnan, dans ses romans noirs, fait jouer aux traditions provençales un rôle majeur, parfois meurtrier. Ainsi, dans Le Commissaire dans la truffière, situé à Banon, dans les Basses-Alpes, quelques jours avant Noël, « Roseline, la truie d’Alyre, a fort à faire pour dénicher les truffes qu’attendent ses clients. » Mais ce sont des cadavres que risque de découvrir la fureteuse… Le commissaire Laviolette, alors que tous s’apprêtent à fêter Noël, va utiliser la fête pour découvrir les coupables. Car on meurt chez Pierre Magnan, même à Noël ! De quoi tordre le cou à bien des idées reçues, même s’il vaut mieux, en cette saison, commencer par le cou de la dinde…

TEXTE _Anne MARTINETTI