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Marseille, future capitale de l’océanologie ?

 

Lorsqu’on parle d’océanologie, on pense de prime abord au grand musée océanographique de Monaco, qui, tourné vers la mer, domine le rocher de la principauté. Pourtant, si Marseille ne dispose pas d’un tel lieu de culture dédié à cette science (encore que la programmation des musées de Marseille la mette régulièrement en valeur), sa contribution historique à l’océanologie est manifeste. Son importance dans le bassin méditerranéen paraît l’avoir prédestiné à devenir une capitale pour cette « science des océans ». L’océanologie (indifféremment connue sous le nom d’océanographie), regroupe les sciences s’intéressant à la compréhension, à l’exploitation et à la protection des environnements marins. Aussi une ville qui se veut ouverte sur la mer et sur le monde ne pouvait-elle ignorer ce vaste courant.

 

 

Marseille et l’océanologie : une affaire d’histoire

Qui, en se promenant sur la Corniche Kennedy, n’a jamais aperçu, en contrebas, aux alentours du numéro 174, un bâtiment singulier qui jouxte les eaux au point de se confondre avec les rochers ? Ce bâtiment, plus connu sous le nom de marégraphe de Marseille, a en effet beaucoup à voir avec l’océanologie puisque, fait peu connu, il constitue le point zéro de l’altitude en France métropolitaine. C’est à partir de lui que se mesure l’altitude de tous nos reliefs ! Pour être tout à fait exact, un premier marégraphe fut établi à Marseille, entre 1849 et 1851, par l’ingénieur hydrographe Antoine Chazallon, dans le port de la Joliette. Mais en 1884, la Commission du nivellement général de la France fit construire le long de la Corniche un observatoire permanent connu sous l’appellation « Marégraphe de Marseille ». Si ses activités débutèrent vraiment en 1885, il fallut attendre près de douze ans pour que le point zéro de l’altitude soit fixé, après de longues observations des variations du niveau de la mer.

Les activités d’un marégraphe ne se bornent cependant pas à cette seule opération, puisque l’instrument a vocation à servir de véritable outil d’exploration des mers et océans. Or, à cet égard, celui de Marseille présente une particularité unique au monde : il est le seul à disposer d’un composant particulier (appelé intégrateur mécanique totalisateur) qui permette de mesurer en un tour de manivelle le niveau moyen de la mer sur une période donnée !  S’il fut complété, à l’orée du xxe siècle, par des outils plus modernes et numériques, le marégraphe de Marseille n’en demeure pas moins à l’origine de l’établissement de nombreuses cartes marines et de la prévision d’événements climatiques extrêmes (comme les ouragans ou les tsunamis). Encore faut-il le deviner, tant le bâtiment apparaît modeste de l’extérieur !

Aussi n’est-ce pas un hasard si le célèbre commandant Cousteau, pourtant né en Aquitaine, semble avoir découvert sa vocation de marin à Marseille, où, dès les années 1920, son exploration des calanques augura, après l’École navale de Brest, l’avenir d’un grand marin français qui fut, du reste, affecté au service du contre-espionnage militaire à Marseille dans les années 1940, avant de s’orienter vers des activités plus exploratoires sur la richesse des fonds marins méditerranéens, après la guerre. On lui doit, en effet, les premières fouilles archéologiques de l’archipel de Riou au large de la cité phocéenne.

 

Le virage océanologique de Marseille

Au-delà de ces anecdotes historiques, Marseille entend désormais, conformément à l’esprit pionnier de la création de son marégraphe, devenir un avant-poste incontournable de la science de l’exploration des mers. 

Conscients que sa position privilégiée était insuffisamment exploitée, les pouvoirs publics ont, depuis le début du xxie siècle, entendu renforcer l’aura marine de la ville. Il s’agit avant tout de promouvoir la « nouvelle économie de la mer » et, pour cela, de réfléchir à la contribution de Marseille à ces opportunités nouvelles, tout en comblant le déficit de formation en la matière.

Qui mieux que l’Université était dès lors légitime pour embrasser ce vaste terrain d’étude, de recherche et de formation ? Soutenu par les pouvoirs publics, le nouvel Institut méditerranéen d’océanologie (IMO) vit le jour en 2012. Il présente la particularité d’articuler à la fois des aspects de recherche fondamentale et appliquée sur la science des océans (comprenant, évidemment, l’étude des effets du changement climatique sur les mouvements de ces derniers) et, de manière pratique, des impératifs de formation à l’immense diversité des métiers de la mer (des plus scientifiques aux plus concrets) !

Composé de plus de 250 personnes organisées en 5 équipes disciplinaires, l’Institut est un laboratoire de recherche qui dépend des universités d’Aix-Marseille, de Toulon, du CNRS et de l’Institut de recherche pour le développement (dont le siège est à la Joliette). Ses objectifs sont de mieux comprendre le système océanique et son évolution, en réponse au changement global. Il constitue un pôle de compétences en halieutique, biologie, écologie, biodiversité, microbiologie, physique, chimie, biogéochimie et en sédimentologie marine. Ses cadres d’exercice sont l’océan mondial, ses interfaces avec le continent, l’atmosphère et le sédiment.

Autant le dire, cet institut incarne l’espoir des pouvoirs publics de faire de Marseille un véritable pôle d’excellence en océanologie en Méditerranée et, pourquoi pas, au niveau de la France entière. Pour cela, il entend, au travers de projets financés par diverses autorités publiques, investir des sujets brûlants, comme l’impact du réchauffement de la planète sur les écosystèmes, la compréhension (et la prévention) d’événements climatiques graves, ou encore les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur les territoires et les populations.

 

Marseille et la préservation de la biodiversité

Outre la création de l’IMO, Marseille entend mener une réflexion plus globale sur la contribution des mers et des océans à la biodiversité mondiale : le changement du statut juridique des Calanques, devenu parc national, n’est pas anodin. Il en va, outre de la protection de ce patrimoine historique et culturel, de la sensibilisation de la population aux effets de la main de l’homme sur son environnement. Or l’océanologie n’est pas l’apanage des scientifiques, elle est l’affaire de tous. 

Il n’est donc pas anodin que la Convention de Barcelone pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée, signée en 1976, ait donné naissance à de véritables institutions de protection du littoral et des mers, au titre desquelles on trouve le Plan Bleu, soutenu par les Nations unies et installé, contre toute attente, à Marseille. Le Plan Bleu produit des études ainsi que des scénarios pour l’avenir, afin de sensibiliser les acteurs et les décideurs méditerranéens sur les questions d’environnement et de développement durable de la région. À ce titre, ses missions apparaissent complémentaires à celles de l’IMO, bien qu’uniquement centrées sur la Méditerranée, avec, toutefois, une certaine emphase sur les politiques publiques de protection de l’environnement et de durabilité de l’espace méditerranéen, puisqu’il s’agit d’un think tank qui se veut une « aide à la décision » pour les politiques.

Ainsi, d’un point de vue institutionnel, en tout cas, Marseille s’est donné des moyens à la hauteur de son ambition afin de devenir une plaque tournante de l’océanographie en Méditerranée et dans le monde. Face à la concurrence d’autres métropoles maritimes, elle devra, dans les décennies à venir, acquérir une véritable légitimité qui lui permettra de prétendre au titre de capitale de l’océanologie.