MARSEILLE, CONFINÉE HISTORIQUE
Tant qu’il y aura des épidémies !
Temps d’épidémie : temps d’inquiétude, de tristesse, de précarité, d’avenir incertain. Et pourtant… Si c’était aussi une manière de réfléchir sur sa vie, son époque et de définir les lignes d’avenir ? Se construire sur les épidémies, et si c’était possible ? Marseille en a toujours été convaincue !
La variole, le choléra, la fièvre jaune, le typhus, la grippe, la rougeole, la typhoïde (responsable à elle seule du quart de la mortalité infantile durant la première moitié du xixe siècle), la diphtérie (appelée alors « croup »), cet inventaire que Prévert n’aurait pas osé est le quotidien de la ville, mais également du monde entier, tout au long du xixe siècle. Mais sans attendre, dès l’Antiquité, les épidémies rythment la vie de l’Orient comme de l’Occident, et l’écrivain Thucydide, en l’an 430 av. J-C., raconte dans La Guerre du Péloponnèse l’épidémie de ce qui est sans doute la peste qui sévit à Athènes, et propose son témoignage aux générations futures pour leur permettre à l’avenir ” de ne pas êtres pris[es] au dépourvu”.
Néanmoins, aucune épidémie ne fut aussi inspirante pour les écrivains que celle de la peste de Marseille en 1720 : le Marseillais Antonin Artaud ne l’évoque-t-il pas dès le début de son œuvre de référence, Le Théâtre et son double ? Il écrit : « La peste de 1720 à Marseille nous a valu les seules descriptions dites cliniques que nous possédions du fléau. Mais on peut se demander si la peste décrite par les médecins de Marseille était bien la même que celle de 1347, à Florence, d’où est sorti le Décaméron. » Et Artaud d’analyser le phénomène de l’épidémie comme un processus identique à celui du théâtre, dans une déclaration d’amour au chaos qui lui est familière.
La position stratégique de la ville en matière d’épidémies est telle que Marseille remporte la palme de la cité sur laquelle paraît le plus grand nombre d’études épidémiologiques ; en 1836 paraît le premier écrit qui préconise le confinement pendant les épidémies : Le Choléra à Marseille, 1834-1835, publié localement par les éditions Feissat et Demonly. Le journaliste et essayiste Louis Méry participe à cette occasion à l’élaboration d’une charte pour éviter la contagion ! À noter que changer de linge deux fois par semaine suffit, et l’on appréciera ces mesures de prophylaxie à la lumière du progrès…
Il faut dire que jusqu’au développement des travaux de Pasteur à partir de 1892, l’épidémie fait partie du quotidien des habitants du monde. Aussi est-elle fréquemment mise en scène dans des œuvres à succès, comme par exemple le célèbre Journal de l’année de la peste, par Daniel Defoe (qui raconte la grande peste de Londres) et bien sûr Les Mystères de Marseille, roman- feuilleton d’Émile Zola qui évoque l’épidémie de choléra de 1849 (une maladie affrontée par la ville tous les dix à quinze ans au XIXe siècle).
Comme tout événement exceptionnel, la maladie fait ressortir le meilleur et le pire de la nature humaine : à Marseille, durant l’épidémie de choléra de 1849, les habitants reprochèrent au gouvernement de continuer à autoriser l’arrivée des bateaux de commerce en provenance du Moyen-Orient, sur simple déclaration du médecin de bord, et sans quarantaine… C’est dire si le maintien de l’économie n’est pas une notion nouvelle ! D’ailleurs les Marseillais réagirent vivement, et un exode massif vida les quartiers du centre-ville. Les théories du complot, selon lesquelles les riches auraient empoisonné les fontaines de la ville, se multiplièrent, et les médias orchestrèrent une révolte populaire, mise en images notamment par le peintre Michel Serre.
Les écrits de médecins, certains sérieux, d’autres fantaisistes (autres temps, mêmes mœurs !), fleurissent à partir de 1721, à commencer par l’ouvrage Relation historique de la peste de Marseille en 1720, du docteur Jean-Baptiste Bertrand, qui annonce avant l’heure l’idée de contagion, contre l’idée de malédiction divine. Mais il fut peu écouté… ce qui motiva son implication dans la création de l’Académie des sciences, lettres et arts de Marseille, en 1726, qui devait faire avancer la ville sur tous les fronts scientifiques jusqu’à la Révolution.
Plus près de nous, dans Le Temps des amours, Marcel Pagnol met en scène la peste de 1720 façon Alamo, avec les notables d’une petite communauté marseillaise qui s’enduisent de « Vinaigre des quatre voleurs » pour ne pas être contaminés et organisent un ravitaillement militaire…
Et pour finir sur une note d’aventures, c’est en pleine épidémie de choléra que l’Indomptable Angélique (surnommée marquise des anges), embarque à
Marseille sur les traces de son mari Joffrey de Peyrac, en fuite, persécuté par Louis XIV. Mais il faut plus qu’une épidémie pour arrêter
l’amour, alors… Anne MARTINETTI