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Marion Mazauric, diablesse en personne !

Être une femme éditrice dans le sud n’est pas une chose facile, mais ce n’est pas impossible pour Marion Mazauric. Féministe dans l’âme comme toutes les femmes de sa famille, Marion sait se battre, et il a fallu qu’elle se batte pour créer sa maison d’édition à Vauvert !

Toute sa famille paternelle est ancrée dans le Gard, et depuis toute petite, Marion est particulièrement attachée à sa région, une région dans laquelle elle voudra absolument revenir, car si elle a toujours vécu au milieu des livres, elle a tout autant besoin de chevaux et de taureaux autour d’elle. Après de longues études littéraires, elle commence son métier d’éditrice dans le sud, d’abord chez
Actes Sud à Arles puis à Marseille chez Jeanne Laffitte, mais à un moment donné il faut aller travailler à Paris… Marion rentre alors chez J’ai Lu et c’est là que pendant quelques années elle met en place sans le savoir les fondamentaux de sa future maison avec de tous jeunes auteurs à l’époque, Cyril Collard, Despentes, Djian, Ravalec, Houellebecq… Avec eux elle crée la collection « Nouvelle Génération » (« Une nouvelle génération d’auteurs pour une nouvelle génération de lecteurs »). Et on lui doit également la célèbre collection « Bien-être », une belle anticipation, et une très grosse réussite éditoriale et commerciale.
 
 

Mais Marion a fondé une famille dans le sud et durant toutes ces années elle s’épuise à vivre une double vie, sa vie professionnelle à Paris, sa vie privée à Vauvert. Finalement, suite à des problèmes de santé, elle décide de quitter ses grosses responsabilités éditoriales dans la capitale, pour créer sa propre maison à Vauvert, sur ses terres, et étant donné son éloignement, le nom Au diable Vauvert est tout trouvé… « Il manquait en France la maison des cultures d’aujourd’hui. Le Diable est cette maison où la littérature est radicalement influencée par l’impureté des cultures populaires contemporaines. La littérature est d’abord devenue un produit industriel avec le poche, le polar, le fantastique, l’épouvante, la SF, le sentimental, puis elle s’est démocratisée influencée par les pop-cultures, le rock, la pop, le punk, le cinéma, les séries télé, la BD, les comics, toutes les contre-cultures marchandes, la culture du Net, les jeux vidéo, les mangas, les cultures urbaines, le hip-hop, les rave, la techno, etc… C’est tout ça le Diable, avec un logo qui se balade (et non la marque de l’éditeur en une), des couvertures uniques, de la couleur, pour créer des everyday products… Cette maison c’est du Nike appliqué à du bio, de la haute-couture sur du plastique… » explique-t-elle. 

S’il y a un engagement féministe au Diable, c’est parce qu’il est une voie d’entrée dans la littérature. « Depuis la création des éditions Au diable Vauvert, les minorités se sont toujours adressées à nous, les féministes, comme les communautés homosexuelles, gays ou lesbiennes, parce que chez nous, les minorités ont droit à la parole, leur écriture rentre dans notre ligne éditoriale. Nous voulons donner envie aux féministes de s’exprimer chez nous. Le mouvement féministe s’inscrit lui aussi dans les pop-cultures, dans les écritures contemporaines qui font les éditions Au diable Vauvert. Aujourd’hui on ne peut pas penser l’humain sans les minorités. Non seulement elles existent mais ce sont elles qui font avancer les choses, qui disent le mieux notre société, ces minorités qui réfléchissent à partir de l’exclusion, de l’enfermement, des inégalités, de l’injustice. Ce sont elles qui font sauter les vieux paradigmes et qui nous permettent de sortir du « carré » de la pensée. Et en ce qui concerne la condition féminine en particulier, les choses ont peu avancé, elles ont même plutôt reculé ces derniers temps ».Le 13 octobre, le jour même où la justice reconnaissait l’agression sexuelle de DSK sur Tristane Banon (tout en la déclarant irrecevable pour cause de prescription) est paru aux éditions Au diable Vauvert, le récit de la victime intitulé Le bal des hypocrites. « Tristane connaissait la maison depuis quelques années et l’engagement de l’éditeur envers ses auteurs. C’est elle qui m’a appelée pour me dire qu’elle avait écrit un texte qu’elle aimerait publier chez nous. Si elle nous a choisi c’est parce qu’elle a pensé qu’elle serait accusée de chercher à faire de l’argent en publiant ailleurs, dans une grosse machine parisienne… Avec le Diable il n’y a même pas eu de chèque d’avaloir… » avoue l’éditrice. « De toute façon, j’aurais publié le journal de Tristane comme j’aurais donné la parole à Nafissatou Diallo si elle me l’avait proposé, mais ce texte va plus loin dans sa qualité littéraire, et la romancière qui travaille beaucoup à partir de l’autofiction, a sans doute écrit ici son plus beau livre, mais là c’est l’éditrice qui parle !… ». Une maison d’édition nécessaire donc. Avec un catalogue unique en France, qui permet notamment à une femme qui a subi une agression sexuelle de se défendre avec un outil très puissant : l’écriture.

Le bal des hypocrites
par Tristane Banon
Elle ne le nomme pas. Elle ne le nomme jamais. Elle l’appelle le cochon, le babouin, ou l’homme-babouin. Quand elle parle de sa femme, elle dit : « Dans une autre vie, je sais que cette femme a été intelligente. Et puis elle l’a rencontré, il l’a séduite. Elle n’a pas vu, pas voulu voir le babouin derrière l’homme. Son cochon n’est pas babouin à plein temps… ». Quant aux journalistes qui passent d’un excès à l’autre, de rien à tout, et de tout à n’importe quoi… « ça n’est rien, ou pas grand-chose, mes tripes que des journalistes ont tricotées comme de la laine pour se faire un pull pour l’hiver ».
Tristane Banon est tour-à-tour dépassée, détruite, dévorée, par son histoire. Et l’écriture est comme l’auteure, sincère, vraie, à bout de nerfs, et blessée, car ses mots sont comme des centaines de petites blessures posées sur le papier les unes à la suite des autres. Elle a d’abord essayé de tourner la page, mais la page pèse une tonne et le 15 mai quand « l’homme-babouin » est arrêté, c’est tout qui lui revient en plein cœur. Tristane a honte, elle admire celle qui, de l’autre côté de la mer a eu le courage de s’élever contre la puissance. Elle n’en n’a pas eu la force. Il faut dire que personne ne l’a aidée. Et c’est « le bal des hypocrites » qui commence car tout le monde savait… mais… Mais quoi ? Á croire qu’en France on ne peut pas s’attaquer aux hommes riches, aux hommes d’affaires, de réseaux, aux hommes d’argent, de pouvoir, aux hommes politiques ?… Il faudra quand même un jour se débarrasser définitivement du dogme de la phallocratie, une fois pour toutes, alors on pourra appeler un chat un chat, et un babouin un babouin.
 
Texte _Agnès OLIVE