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LE CHÂTEAU DE LA BARBEN, Entre passé et avenir

Certains Marseillais et habitants de la région connaissent le nom de La Barben pour son célèbre zoo. Peu, en revanche, sont familiers de l’imposant château qui trône non loin de là. Et pour cause : un passé tumultueux et une mise en valeur patrimoniale relativement tardive ont fait perdurer, autour de ce château, mythes et mystères. Sa cession, début 2020, à l’entrepreneur Vianney d’Alançon, et la perspective d’un nouvel élan sont autant de bonnes raisons d’en conter l’histoire.

Situé sur la commune du même nom, quelque part dans l’arrière-pays salonais, le château de la Barben surplombe toute la plaine de l’étang de Berre. C’est l’un des plus anciens châteaux de Provence qui, juché sur son promontoire, a contemplé des siècles d’histoire du comté provençal, dont le rattachement au Royaume de France n’est intervenu qu’en 1482. À cette époque, le château existait déjà. Édifié au xie siècle, sur le modèle des châteaux forts médiévaux, il en conserve certains attributs, comme la présence, remarquable aujourd’hui encore, de vestiges d’un pont- levis ou de magnifiques tours crénelées et cerclées de mâchicoulis d’époque. Le donjon, lui, fut détruit par l’important séisme de Lambesc (à quelques kilomètres), en 1909, et remplacé par une tour ronde. Malgré ses évolutions, la bastille apparaît toujours marquée du sceau de l’architecture provençale médiévale typique : l’agencement des tours, les mécanismes de défense, l’environnement rocheux et la présence de cours d’eau aux alentours rappellent le château de Tarascon, lui aussi Lmédiéval, à quelques dizaines de kilomètres.

Le destin du château de La Barben fut intimement lié à celui des familles de propriétaires qui s’y sont succédées. Toutefois, parmi ces dernières, la famille Forbin a, plus que les autres, imprimé sa marque sur la bâtisse, puisqu’elle a fait partie de son patrimoine pendant plus de cinq siècles. Les Forbin, seigneurs de Provence, ont mêlé leur histoire avec l’Histoire, et ont su adapter leur héritage aux évolutions architecturales des temps qu’il a traversés.

Si l’on sait peu de choses du château à la Renaissance, son histoire semble s’accélérer dès le xviie siècle, puisqu’il entra alors dans une ère de tumultes qui ne s’apaisa qu’à l’orée du xixe siècle. Il fut d’abord la cible d’une importante révolte en 1630. À l’époque, le rattachement du comté de Provence au Royaume de France et à ses lois ne faisait pas l’unanimité parmi les seigneurs provençaux, par trop habituées à une gestion indépendante de la province. Aussi, c’est avec une grande colère

que fut accueilli un édit du cardinal de Richelieu, bras droit du roi Louis xiii, visant à imposer au comté de nouvelles charges fiscales et un nouveau mode de centralisation et de répartition des impôts collectés. Or, si l’écrasante majorité des comtes de Provence protesta contre la couronne de France, le seigneur Gaspard de Forbin lui resta, pour sa part, entièrement fidèle. En représailles à cette allégeance, le château fut attaqué et incendié par des pourfendeurs du régime des Tuileries. Ce premier saccage ne fut malheureusement pas le dernier… Mais, pour dédommager Forbin, le souverain Louis xiii força les seigneurs de Provence à lui verser une importante indemnisation. Plus moderne que ses prédécesseurs, Gaspard de Forbin fut véritablement celui qui fit du château médiéval un véritable château de plaisance, plus proche de celui que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, l’indemnisation reçue permit de financer d’importants travaux qui rapprochèrent la bâtisse des standards architecturaux de l’époque : jardins à la française, qui paraissent avoir été dessinés par le jardinier André Le Nôtre (bien qu’aucune commande précise ne puisse être établie), plafonds-galeries, promenades… Le château de La Barben fit ainsi son entrée dans le siècle des Lumières et le règne du Roi Soleil. Mais la Révolution fut pour lui le théâtre de nouveaux événements malheureux.

Le soulèvement du tiers état français n’épargna pas la Provence et le château de la Barben eut à subir les affres de la Terreur : Anne François Palamède fut guillotiné à Lyon en 1793, laissant derrière lui femme et enfants, forcés à fuir le château. Ce dernier connut alors une nouvelle vague de pillages et de saccages, la population ayant grandement saisi les biens qu’il contenait pour satisfaire la gronde populaire. Bien plus tard, il fut une nouvelle fois démoli, suite au séisme de 1909, dont l’épicentre était fort proche : la tour-donjon fut alors entièrement détruite, puis reconstruite. C’est à cette époque que l’architecture du site se stabilisa, pour perdurer intacte jusqu’à nos jours.

Resté la propriété des Forbin pendant 500 ans, le château fut vendu par l’un des héritiers de la famille en 1963 à la famille Pons, qui compta des passionnés d’architecture qui donnèrent à la propriété un nouvel élan. Dès 1965, ces férus de restauration entreprirent un vaste projet d’ouverture du site au public, afin de financer les importantes rénovations qu’il nécessitait : chambres d’hôtes, visites, organisation d’événements… autant de sources de recettes améliorées, quelques décennies plus tard, par l’accession du lieu au statut de monument historique (en 1981) ce qui augmenta significativement sa notoriété. Le château de la Barben a changé de mains en décembre dernier.

Passionné d’histoire, de patrimoine et de cultures populaires, le nouveau propriétaire, Vianney d’Alançon nourrit un projet ambitieux de mise en valeur des lieux. Ce sont près de 20 millions d’euros de fonds privés qui sont investis ici. La mise en tourisme du site devrait créer 150 emplois directs et générer autant d’emplois indirects. Le château de la Barben entre dans une nouvelle période de son histoire et ambitionne de devenir un pôle de valorisation de « La Provence », à travers ses hommes et son histoire. Le site souhaite s’inscrire dans une synergie avec les acteurs du tourisme et les habitants du territoire. L’ensemble du projet est construit avant tout sur le plan environnemental et patrimonial. Une vaste entreprise de rénovation va se déployer prochainement pour sauver des parties du château très endommagées et en péril, notamment des fresques du célèbre François Marius Granet. Des projets agricoles et de préservation et développement des espèces florales et animales vont être développés sur l’ensemble des 400 hectares du territoire naturel que compte la propriété. Une mise en lumière des savoir-faire provençaux et des marques les plus emblématiques de Provence trouvera sa place au coeur du domaine. Vianney d’Alançon prévoit une ouverture en 2021. D’ici là, le nouveau propriétaire va largement solliciter les entreprises de la région et lancer une vaste campagne de recrutement, avec trois objectifs clairs : mettre en oeuvre un plan de sauvetage de ce monument millénaire ; oeuvrer à la préservation du patrimoine naturel du site ; créer des spectacles historiques d’envergure pour raconter la Provence, ses racines, son histoire et ses grands hommes. Une belle déclaration d’amour à notre beau territoire !

Romain BONY-CISTERNES