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HOCKNEY, COLLECTION DE LA TATE, en pensant, en dessinant…

Il défraie régulièrement la chronique : artiste vivant le plus cher de tous les temps, estimations d’enchères systématiquement pulvérisées en quelques minutes… C’est souvent pour des raisons d’une navrante vulgarité qu’on entend parler de lui. Pourtant, si je vous dis David Hockney, vous vient sans doute d’abord la sensation d’une idéale lumière californienne qui se reflète sur l’eau mouvante d’une piscine. Ce que la presse semble oublier, c’est que si Hockney est populaire, ce n’est pas parce qu’il est bankable, c’est parce qu’à travers son œuvre s’exprime une forme de joie communicative, liée à sa volonté de s’émerveiller sans cesse de la beauté du monde.

L’exposition exceptionnelle que présente le musée Granet cet hiver, en empruntant une bonne partie de la collection de la Tate consacré à l’artiste anglais, vient chatouiller ce qu’il y a de plus naïvement spontané chez l’amateur d’art, son goût pour le beau. Une bonne façon de remettre l’art au centre du village… et des colonnes des magazines !

Parcours scénographique et artistique

On ne connaît pratiquement pas de peintres, écrivait Julien Gracq dans les années 1980, qui naissent à leur art déjà armés de pied en cap de leur technique personnelle, maîtres de leur palette, de leur touche, de leurs empâtements, de leurs glacis. Tous semblent avoir acquis progressivement, lentement, à la vue même du public, leur métier, et ce qui constitue leur signature » (Julien Gracq, En lisant en écrivant, 1980). Cette observation, pour pertinente qu’elle soit d’une manière générale, semble avoir été écrite spécifiquement en pensant à David Hockney, tant le maître n’a eu de cesse de se réinventer, de réenchanter en permanence son regard et son pinceau, celui-ci fût-il, en vérité, le stylet d’un iPad.

C’est un phénomène que rend particulièrement visible le parti pris scénographique de l’exposition, avec neuf sections à l’orientation majoritairement chronologique. On chemine des œuvres de jeunesse de l’étudiant en art prometteur des années 1950 jusqu’à ses expérimentations numériques. Au-delà des thématiques propres à chaque époque (l’homosexualité et la sensualité des corps masculins, rappelons-le, à une époque où aborder le sujet d’une façon aussi frontale était particulièrement courageux, voire dangereux ; la Californie, ses piscines, son architecture moderne et son aura hollywoodienne ; la période naturaliste, avec beaucoup de scènes d’intérieur…), le parcours dessiné par le musée rend perceptible le fil rouge de l’œuvre, le questionnement permanent de la perspective, dans un cadre qui tend à s’élargir. En traversant l’exposition, on comprend combien la variation des styles, des outils ou encore des supports sert à interroger, toujours, la construction de l’espace, notre capacité à rendre compte du réel. Et effectivement, on voit le peintre « progresser », au sens strict, dans son art. Ce n’est pas que les toiles de sa jeunesse soient moins abouties que ses œuvres tardives, certainement pas, mais sous nos yeux rendus sensibles par une clarté éclatante, on devine l’expansion de l’univers d’un maître qui se renouvelle sans cesse, avec une même forme d’ingénuité presque enfantine à chaque période.

© David Hockney « A Bigger Card Players » 2015 Photographic drawing printed on paper, mounted on aluminum 69 3/4 x 69 3/4″ Edition of 12, © Photo : Richard Schmidt

Hockney, l’artiste chercheur

Il faut dire qu’Hockney se confronte aux grandes questions de la peinture avec une simplicité déconcertante, parfaitement décomplexée. Tout en étant un grand connaisseur de la peinture classique, un brillant moderniste qui sait ce qu’il doit à ses prédécesseurs, Hockney ne se laisse jamais écraser par le poids de pratiques, de théories devenues dogmes ou écoles. Son rapport aux grands mouvements du XXè siècle en témoigne. Grand admirateur de Picasso, il mélange comme lui les styles et son travail de fragmentation de l’image (notamment dans ses travaux impliquant l’utilisation d’un appareil photo), de changement de point focal, emprunte évidemment au cubisme (cette idée géniale qu’on n’est pas contraint à n’adopter qu’un seul point de vue), mais il ne fait pas du Picasso !

Il essaie, à partir de ses maîtres, d’aller toujours plus loin, de pousser encore un peu la réflexion, sans jamais s’enfermer dans une imitation scolaire. De la même manière, lorsqu’il peint Rubber Ring Floating in a Swimming Pool, en 1971, il verse dans la satire de l’art abstrait, très en vogue à l’époque : le tableau semble effectivement abstrait, par sa construction géométrique : un cercle rouge sur une bande bleue surplombant une bande couleur sable… mais il est figuratif, c’est une piscine vue du dessus, avec une grosse bouée rouge.

Espiègle, voire insolent, le peintre n’hésite pourtant pas à rendre hommage, et c’est ce que l’on découvre dans la dernière section de l’exposition, à ses maîtres du Sud. On pense bien sûr à Cézanne avec ses joueurs de cartes (A Bigger Card Players, qui est à la fois une peinture et un photomontage), thématique chère au peintre aixois, ou encore à Van Gogh dans Vincent’s Chair and Pipe, écrivant en toutes lettres « homage » sur sa toile, qui reprend la célèbre chaise en paille tressée du Néerlandais. Chauvinisme à part, on est particulièrement touché par cette dernière étape du parcours muséal. Peut-être parce qu’on retrouve dans l’admiration du peintre pour ses modèles un peu de l’admiration que nous lui portons nous-mêmes…

© David Hockney, Mr and Mrs Clark and Percy

HOCKNEY, COLLECTION DE LA TATE
DU 28 JANVIER AU 28 MAI
MUSÉE GRANET
Place Saint Jean de Malte, Aix en Provence
04 42 52 88 32
www.museegranet-aixenprovence.fr

Image en Une : © David Hockney assisted by Jonathan Wilkinson « In the Studio, December 2017″ Photographic drawing printed on 7 sheets of paper (109 1/2 x 42 3/4″ each), mounted on 7 sheets of Dibond Edition of 12, 109 1/2 x 299 1/4 » overall