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Esther TEILLARD, une Marseillaise lauréate du prix La Ponche 2025

Le prix La Ponche à Saint-Tropez, créé il y a quatre ans par la romancière et journaliste Lisa Vignoli, dégage déjà une superbe vitalité dans le paysage littéraire français. L’hôtel de légende, qui accueillit tant de plumes célèbres, lui sert aussi d’écrin, et lui donne ainsi un supplément d’âme… Cette année, c’est une Marseillaise qui a été récompensée d’emblée, avec un premier roman puissant intitulé Carnes. Entretien avec Esther Teillard sur la plage où fut tourné Et dieu… créa la femme.

ToutMa : Premier roman, première sélection, premier prix : c’est fou !
Esther Teillard : Oui ! Ce roman correspondait à l’esprit du prix de La Ponche, je pense, un concours qui met en avant des auteurs émergents. C’est aussi un ouvrage un peu sulfureux écrit par une jeune Marseillaise ! J’imagine que ce sont des éléments qui sont entrés en ligne de compte. J’ai été très heureuse de recevoir ce prix, évidemment. C’est hyper émouvant pour un premier roman… Moi, J’ai 23 ans, je ne m’y attendais pas du tout. J’étais très émue et très étonnée. Mais d’être ici aujourd’hui, sur cette plage, c’est fidèle au roman qui parle de Marseille, de lumière dorée et de femmes méditerranéennes !

TM : Une enfance à Marseille, puis des études à Paris. On dit que c’est le contraste entre ces deux univers qui t’a inspiré Carnes… Exact ?
ET : Oui, j’ai grandi entre le Panier et Vauban. Après le lycée, je suis entrée aux Beaux-Arts de Paris, mais très vite, j’ai été beaucoup plus intéressée par l’écriture. Ma professeure s’en est aperçu et m’a poussée dans ce sens. Je pense qu’en vérité, je n’étais pas très douée pour la peinture (rires). Je me suis alors mise à écrire vraiment et voilà ! Carnes est un roman sur la violence de ces deux villes, une violence différente. Marseille a une violence plus frontale, plus explicite. La narratrice y a grandi seule avec sa mère, procureure qui plus est. Un métier dur dans une ville très dure… Ensuite Paris, où elle vient étudier, lui semble un univers plus doux… Mais finalement, elle y trouve une autre forme de violence, plus insidieuse, à l’abri du monde de la culture, de l’art, de la politique ! Ce sont finalement deux univers très différents mais tout aussi violents.

TM : Comment qualifierais-tu ton roman ?
ET : C’est un roman d’autofiction plus qu’un récit autobiographique. On le classe plutôt dans la littérature transgressive, à l’image de ma maison d’édition d’ailleurs. Les Éditions Pauvert ont ce parti pris. Ils ont publié Sade à une époque où ce n’était pas si simple… La collection de J.-J. Pauvert mérite vraiment d’être relevée.

TM : Quid du féminisme, puisqu’on en parle ?
ET : Alors que toute la problématique du roman est essentiellement féminine, avec une mise en valeur de la puissance des femmes, c’est aussi un roman très critique sur l’apparent féminisme des milieux bourgeois parisiens, des écoles d’art entre autres, qui jouent la carte de la sororité. Ce sont des milieux qui honorent les femmes dans la littérature, la peinture, mais dans lesquels les femmes sont hypocrites entre elles. Les rapports de force et de violence y sont omniprésents ! la narratrice montre les femmes dans toute leur complexité. Et elle recherche aussi l’appui des femmes solidaires, notamment celles de son enfance, plutôt méditerranéennes, plus chaleureuses et aimantes entre elles. C’est vraiment un roman sur les femmes et pour les femmes.

On retrouve Esther Teillard sur France Culture, dans l’émission « Mauvais genre », et au Cravan Paris, lors des conversations nocturnes « Nuit Double ».

Carnes

Cela s’appelle un don. Âgée de seulement vingt-trois ans, Esther Teillard a fait une entrée fracassante dans le milieu littéraire avec son premier roman, Carnes. Un livre sans concession, écrit à la première personne, dans lequel la narratrice quitte la ville de Marseille, d’où elle est originaire, pour les Beaux-Arts de Cergy. Un autre monde, en apparence plus inclusif et ouvert à d’autres problématiques. Mais la violence est toujours présente, se dissimulant sous des aspects peu reluisants. Il flotte un je ne sais quoi de Virginie Despentes dans ce récit percutant. La jeune romancière excelle dans son analyse pointue du féminisme, qu’elle exprime à travers une galerie de personnages de femmes hautes en couleur (à l’image de Médée, trans et noire, fan du militant et philosophe espagnol Paul B. Preciado). Pas toujours très aimable, Carnes secoue le lecteur et lui donne une sacrée claque. Ce qui n’est pas franchement désagréable. ALF

213 pages, Éditions Pauvert, 20,90 €