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Colette, la vagabonde

Alors que la talentueuse comédienne Keira Knightley fait revivre sur grand écran l’insolente Colette d’un haussement de sourcil ravageur, l’époque et ses mouvements féministes nous invitent plus que jamais à lire ou à relire celle qui bouscula les « bien-pensances » de son époque et illustra le xxe siècle de toutes ses audaces littéraires et existentielles. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on trouve dans la filmographie de l’actrice l’incarnation d’une tueuse à gages (Domino), celle d’une femme qui renonce à ses privilèges par amour et n’hésite pas à manier l’épée (Pirates des Caraïbes), ou encore celle d’une jeune fille déterminée à faire carrière dans le football.

Comme elle, mais plus d’un siècle auparavant et dans la vie réelle, Sidonie-Gabrielle Colette bouleversa les valeurs de son temps et la place des femmes dans la vie littéraire. Danseuse (nue !) de music-hall, divorcée, financièrement indépendante, ouvertement bisexuelle, celle qui fut l’écrivaine la plus photographiée du xxe siècle sut comme personne exalter les lieux chers à son cœur, comme sa Bourgogne natale mais aussi, de manière très charnelle, ce Sud dont elle fit sa résidence durant de nombreuses années. À commencer par son refuge de prédilection ; dans le roman Chéri, l’héroïne Léa, Colette à peine déguisée, prend la fuite vers le soleil pour ne pas assister au mariage de son ancien amant : « L’hiver s’annonce mauvais, ici, on va aller manger un peu de cuisine à l’huile, au soleil. » Mais le Sud qu’elle aime est aussi celui de l’hiver : « C’est donc à la fin de mars que je mis dans ma valise le long pantalon de gros tricot, les quatre pull-overs, les écharpes de laine, l’imperméable doublé de tartan, bref l’équipement que requièrent les sports dans la neige ou le voyage au Pôle. Mes séjours dans le Midi, une tournée de conférences à la fin d’un hiver, n’évoquaient que Cannes aveuglé de grêle », écrit-elle dans Bella-Vista, une longue nouvelle dans laquelle elle évoque les séjours à Sainte-Maxime dans sa villa de Guerrevieille, puis la « Treille Muscate », à Saint-Tropez, où elle passa près d’une dizaine d’années, et qui lui inspira de nombreux écrits. 

La Vagabonde, paru en 1910, raconte l’histoire de Renée Néré, double de papier de Colette. Cette trentenaire, divorcée, seule et volontaire, artiste de music-hall, choisit de partir en tournée avec sa troupe au moment même où se profile pour elle les débuts d’une histoire d’amour. Les lieux traversés, les villes où se produit le spectacle sont autant de prétextes pour écrire à l’homme qu’elle souhaite aimer (mais pas au prix de sa liberté), et ces lettres, comme ce roman-journal, exaltent les senteurs du Sud qu’elle affectionne : « Le printemps était venu sur ma route, le printemps comme on l’imagine dans les contes de fées, l’exubérant, l’éphémère, l’irrésistible printemps du Midi, frais, gras, jailli en brusques verdures, en herbes déjà longues que le vent balance et moire, en arbres de Judée mauves. » Plus loin, la nourriture se fait chair et la dégustation sensualité sur le port de Marseille : « Nous venons de manger des oursins, des tomates, de la brandade de morue (…) il y a un éventaire chargé de bananes noires, qui sentent l’éther, et de coquillages ruisselants d’eau marine, des oursins, des violets, des palourdes, des moules bleues, des praires, tout ouverts parmi les citrons et les fioles de vinaigre rose… » La sieste sur les aiguilles de pin, le soleil qui engourdit l’âme, c’est ce Sud-là que l’écrivaine adore, car il calme ses angoisses existentielles, la rend plus futile, lorsqu’elle choisit ses sandales, son cabas, son paréo pour gagner la plage. La Vagabonde, c’est cette femme indépendante qui sait qu’accepter le mariage, c’est encore, en 1910, se soumettre aux lois d’un homme. C’est encore, en 1910, renoncer à décider de son destin, abandonner des ambitions. Et pour Renée Néré, pour Colette, c’est souffrir de dépendance à l’amour ou bien souffrir de solitude. Mais si la première souffrance engourdit, la deuxième stimule… Alors, aidée par le soleil du Sud, Renée fera son choix. Entre la sécurité d’un mariage et une tournée en Amérique du Sud. Un choix de femme libre… N’est-ce pas celui que nous nous souhaitons toutes ? 

 

TEXTE _Anne MARTINETTI