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Barbara Hannigan, la femme orchestre

S’il n’est pas donné à tout le monde de bien faire son métier, certaines personnes, non contentes d’exceller dans un rôle, prennent le parti d’en assumer plusieurs. C’est comme ça qu’elles se savent justes et à la hauteur. C’est le cas de la Canadienne Barbara Hannigan, conjointement cheffe d’orchestre, cantatrice et actrice, qui dirigera le célèbre Requiem de Mozart le 8 avril prochain dans le cadre du Festival de Pâques, à Aix. Rencontre avec une « femme orchestre » hors du commun.

Une grande voix au service de la création contemporaine

Comme certaines stars de cinéma, son nom sur une affiche suffit à garantir la salle comble. Avec ses vingt-cinq ans de carrière, Barbara Hannigan vous surprend par sa modestie teintée d’un enthousiasme d’une fraîcheur presque enfantine. Demandez-lui ce que le milieu entend par le concept de « grande voix » et elle vous répondra avec astuce que le seul intérêt du qualificatif est de lui permettre de porter des projets importants : « Si j’entre dans cette catégorie, alors je dois utiliser ma voix pour des choses importantes, pour aider les jeunes, pour choisir la musique qui me passionne, pour travailler avec les collègues sur des programmes qui sont importants pour le public, pour les musiciens et pour la société. »

Mais son engagement est aussi esthétique. Elle considère notamment avoir eu de la chance en rencontrant très tôt, à 19 ans, la musique contemporaine, souvent jugée trop savante, trop élitiste pour être présentée devant le grand public. Cette musique qui la passionne et qui lui vaut des partitions sur mesure, écrites pour elle par des compositeurs internationaux, elle a commencé par la présenter devant des salles de 50 personnes. Aujourd’hui, les spectateurs sont des milliers à venir la voir diriger et interpréter ces créations. Une part de chance, une bonne dose de mérite et des choix pas toujours simples, c’est en tout cas une grande fierté pour elle de pouvoir mêler les répertoires : « Certaines personnes ont tendance à penser que la musique contemporaine, c’est trop exclusif, trop intellectuel… Mais absolument pas ! Toutes les musiques sont l’expression d’une énergie et d’une émotion. Et c’est ça que je recherche, toujours. Ça, et le partage avec le public. »

Prendre soin de la musique et du public

Si on sent dans son approche un grand respect pour les gens du métier, son engagement auprès du public est tout aussi primordial : « Quand je chante ou que je dirige une pièce pour la quarantième fois dans l’année, je dois garder à l’esprit que c’est peut-être la première fois que le public l’entend. C’est vrai pour la musique contemporaine, mais aussi pour la musique classique. Il y aura peut-être, à Aix, des gens dans la salle qui écouteront le Requiem de Mozart pour la première fois ! Pour moi, c’est un honneur et aussi une responsabilité. Je dois prendre soin de la musique, mais aussi du public. » Le Requiem de Mozart justement, qui a été créé comme une pièce chrétienne, religieuse, relève aujourd’hui, pour elle, d’un rituel sacré et spirituel qui nous donne l’opportunité de réfléchir à la notion de « franchissement de seuil », qu’il s’agisse de passer de la vie à la mort ou de passer d’une étape de la vie à l’autre. C’est particulièrement important à une époque où on est sollicité en permanence (notamment par l’écran de notre téléphone, Barbara la première, de son propre aveu) et où on a du mal à prendre le temps de se poser et de réfléchir, de communier ensemble.

Battre en brèche les stéréotypes

Et pour pouvoir communier avec le public, Barbara Hannigan cherche à briser les stéréotypes qui sont légion dans le milieu de l’opéra. Vouant une grande admiration à la cantatrice Natalie Dessay, qui a ellemême changé les codes du genre, Barbara met le corps au coeur de son travail. Au terme « incarner », elle préfère celui d’« incorporer », qui, au-delà de la chair, dit aussi le mélange des matières. Actrice, chanteuse, danseuse mais aussi cheffe d’orchestre, c’est en assumant tous les rôles qu’elle s’assure la meilleure compréhension possible de l’oeuvre. « C’est avec le corps que j’entre en contact avec l’harmonie, la musique, les émotions. Si je ne comprends pas ce que je fais, je ne peux rien délivrer au public », explique-t-elle. Cette conception, qui n’est pas si évidente à l’opéra, s’est imposée naturellement à elle, dans sa rigoureuse recherche de justesse. Un chemin personnel, mais une voie de plus en plus empruntée aujourd’hui. L’ensemble nous vaut des performances impressionnantes et suppose une scénographie particulière, sensible et humaine, sans chef d’orchestre qui vous tourne le dos pour faire exclusivement face à ses musiciens. Et c’est peut-être le meilleur moyen de rendre la musique au public, à tout le public, y compris celui qui ne sait pas qu’il a, lui aussi, sa place au théâtre.

FESTIVAL DE PÂQUES


Requiem de Mozart le 8 avril à 20h30
Avec l’orchestre philharmonique
et Choeur de Radio France

GRAND THÉÂTRE DE PROVENCE
380 avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence
Contact billetterie : 08 2013 2013
www.festivalpaques.com

Photo en une par © Caroline Doutre – Festival de Pâques