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Angelin Preljocaj “La danse est un art de combat“ 

Chorégraphe, danseur et directeur artistique du Pavillon Noir depuis 2006, Angelin Preljocaj est un explorateur du mouvement. Sa nouvelle création, Empty Moves (part III), 3e volet, présentée cet été en France et à l’étranger, lui permet de poursuivre son travail sur la déconstruction des corps, sans volonté narrative particulière, suivant le flot sonore ininterrompu de l’œuvre « Empty words » de John Cage. Ce grand artiste qui a déjà chorégraphié quarante huit pièces, ne cesse d’être audacieux, d’investir des territoires méconnus, de surprendre. Le temps d’une pause durant les répétitions, Angelin Preljocaj nous accorde cette interview.

ToutMa : Quel a été le moteur de votre passion pour la danse ?

Angelin Preljocaj : à 12 ans, je tombe par hasard sur une photo de Rudolf Noureev dans un livre qu’une amie m’avait prêté. C’est paradoxal car la danse c’est le mouvement, et là, c’est une image arrêtée qui m’a fasciné. Noureev était suspendu dans un saut, le visage rayonnant et la légende disait : « RN transfiguré par la danse ». Je voulais connaître cet état et j’ai suivi mon amie à son cours de danse. à cette époque, j’habitais Champigny-sur-Marne et pratiquais le judo. Je me suis retrouvé dans ce cours de danse classique, j’étais le seul garçon et je portais mon kimono ! Les professeurs, Maguy et Serge, un couple de russes immigrés, étaient très enthousiastes ! C’était stimulant pour moi. Par ailleurs, en dehors du cours, dans la cité où j’habitais, c’était beaucoup moins drôle. J’ai dû affronter des quolibets qui auraient pu aussi bien détruire ma passion de la danse.

TM : Cette épreuve vous a renforcé dans votre choix…

AP : Oui, c’est ça ! Je dis souvent la danse est un art de combat et mon combat, il a commencé là !

TM : Comment a réagi votre entourage ?

AP : Très mal ! Mes parents n’ont pas compris mon choix. à cette époque, il y avait vraiment plein de préjugés quant au côté efféminé de la danse.

TM : La danse a toujours été une évidence ensuite pour vous, n’avez-vous jamais traversé des périodes de doute ?

AP : Si, c’est vrai, ayant commencé avec la danse classique, je me suis senti un peu déçu au bout d’un moment. Je sentais qu’on ne pouvait pas inventer de formes nouvelles puisqu’il s’agissait d’un académisme qu’il fallait reproduire. Je suis prêt maintenant à revoir mon jugement, mais à l’époque, je me suis lassé et j’ai arrêté. Puis, j’ai rencontré la danse contemporaine avec Karin Waehner et ça a été le choc, la fusion de plusieurs pulsions que j’avais, c’est à dire à la fois une certaine physicalité, le désir de créativité et puis cette idée de développer son corps.

TM : Par rapport aux précédents volets, apportez-vous un nouvel axe dans Empty Moves (part III), ainsi qu’une nouvelle articulation du « phrasé » chorégraphique ?

AP : Cette création en trois volets s’étale sur plus de dix ans, ce qui en fait sa singularité. Chaque volet est donc comme on dit « impacté » par son époque. Ce qui relie sans doute les trois, c’est l’état des corps. L’état du corps de chaque danseur et comment ce corps va, au fur et à mesure de l’évolution de ces 1h45, à la fois se dégrader et se remplir à nouveau. Il y a quelque chose d’héroïque dans l’acte de danser cette pièce. Avec l’épuisement, les corps ne trichent pas, c’est ce qui fait la spécificité de ce travail.

TM : Plus précisément, comment se caractérise l’état des corps d’Empty Moves (part III) ? Poussez-vous la limite des corps, la déconstruction à son paroxysme ?

AP : La bande-son reste la même, comme un long fleuve tumultueux. La même matière s‘écoule, c’est donc difficile de rivaliser avec ce fleuve et de ne pas tomber dans la monotonie. Il faut sans arrêt fournir des figures nouvelles, des propositions différentes. Cette troisième partie va sans doute plus loin dans la déconstruction.

TM : S’agit-il donc du volet final ?

AP : Potentiellement, il reste 35 mn possible ! Je me réserve cette possibilité d’ajouter un quatrième volet qui clôturerait cette recherche fondamentale du mouvement.

TM : C’est une véritable expérimentation…

AP : Oui, c’est une aventure corporelle incroyable pour les danseurs, mais c’est aussi une aventure pour le spectateur qui passe par plusieurs états ! à la fois une épreuve et une émotion.

TM : Vous dites « Ce que j’aime c’est cheminer, trouver et me perdre aussi » quel cheminement la pratique artistique a-t-elle emprunté lors du processus de création de EM III ?

AP : Je conceptualise au départ, mais surtout j’expérimente avec mes danseurs. Il faut se confronter à la matière, à la vitesse, au poids du corps, au mouvement, à l’espace. Le processus de création vient donc en cheminant. Ce moment est précieux pour moi avec les danseurs et vice versa, ils sont à la source de la création.

TM : Se mettre en danger, faire bouger les lignes d’interprétation, ouvrir ainsi les champs d’interprétation des danseurs, cette quête perdure avec la même force à travers toutes vos créations ?

AP : Oui. Faire Empty Moves après Blanche Neige, c’est un peu schizophrène ! Je travaille beaucoup sur le désir et il s’émousse si on ne le réactive pas. La meilleure façon de réactiver le désir c’est de quitter aussi. Quitter le champ du ballet narratif pour aller dans le champ de l’abstraction ranime le désir de création. Un peu comme le biorythme de la nature qui m’inspire toujours ! J’adore les saisons : l’hiver rigoureux nous fait désirer très fort le printemps. Et puis les défis sont des moteurs, plutôt que de faire ce que l’on sait faire.

TM : Vous faites régulièrement appel à des artistes, créateurs venus d’autres univers, qu’est-ce que vous apportent ces collaborations ?

AP : Elles me nourrissent. Jean-Paul Gaultier pour Blanche Neige, Azzedine Alaïa pour Les Nuits ou Enki Bilal pour Roméo et Juliette, ce sont des rencontres formidables. La curiosité engendre l’hybridation, génère des formes nouvelles.

TM : Vous travaillez avec Valérie Muller à l’adaptation cinématographique de la BD Polina de Bastien Vivès. Quelle est votre implication ?

AP : Valérie a bâti le script auquel j’ai participé. L’adaptation de ce parcours de vie stylisé nécessitait que l’on étoffe les personnages. Si le film se fait, je m’occuperai des chorégraphies et on co-réalisera ensemble.

TM : Le Pavillon Noir conçu par Rudy Ricciotti vous inspire-t-il toujours ?

AP : Ce bâtiment est magique ! Chaque jour, il m’apporte une telle énergie. Je m’y sens tellement bien que j’ai même l’impression qu’il a fait du vaudou ! Il a créé une sorte d’espace magnétique dans lequel l’énergie, le mouvement et l’espace se mettent en relation dans une dynamique particulière. C’est un chef-d’œuvre !

TM : Trouvez-vous toujours le temps de vous consacrer à la peinture ?

AP : C’est presque nécessaire ! Se retrouver face à la toile silencieuse qui ne vous dit rien et en même temps peut vous donner tout…

 

Empty Moves (part III) est présenté par le Ballet Preljocaj du 14 au 18 octobre au Pavillon Noir à Aix.
4 places sont offertes le 16 octobre aux lecteurs de ToutMa, Appelez vite au 04 42 93 48 14 !

PAVILLON NOIR _Centre Chorégraphique National
530 avenue Mozart, Aix-en-Provence
_www.preljocaj.org