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SkunkDog, l’Art de ne pas y toucher…

Texte _Nathalie Kauder & Françoise Siffrein-Blanc

La vie est une petite maligne et elle emprunte parfois des chemins détournés et étranges pour dessiner une route. C’est sur l’étrangeté de ce parcours que s’est construite la singularité de Skunkdog. Il n’est pas nécessaire de connaître la vie d’un artiste pour en apprécier ou non le travail. Mais ici, l’histoire revêt son importance. Car lorsqu’on entend la sienne, on saisit mieux ce qui, dans sa peinture, attire, révulse ou bouleverse. On y perçoit l’amour, l’excès, la mégalomanie, la violence, la générosité, le geste qui jamais ne s’arrête. Il se revendique du quartier de l’Opéra mais « je suis né sur le château d’If ». Le ton est donné, bienvenue dans son monde meilleur.

Ce « vendeur de pastis » se met à la peinture du jour au lendemain après 17 années à travailler dans les bars : « Je fais tout tard dans ma vie : la musique, la peinture. J’écoute, je m’abreuve et je m’aperçois que je peux faire. Je m’y mets et j’y crois ». Mais en réalité, la peinture est là depuis le début : « Je la dois à mon père. Je ne sais pas ce qu’il a peint mais il a peint mieux que tout le monde. C’est de la peinture provençale. Lorsque je nais, il a 16 ans et demi et il peint déjà ». Le travail dans les bars alimente une routine, un ennui de plus en plus lourd qui l’amène à prendre conscience qu’« autre chose existe, la poésie par exemple ». De cette découverte, une envie germe et l’éclosion s’avère être une révélation : celle d’être différent, « avant je ne le savais pas ».

Ses premières émotions, il les doit à la musique « Bob Dylan, le dernier des prophètes ». Il dit s’être amusé avec la musique, puis avoue, de son regard soutenu « la peinture c’est sérieux ». Ses débuts coïncident avec la naissance de sa fille. Et cela fournit un argument pour le moins étonnant qui renforce sa conviction de peintre : choisir la peinture, une activité qui ne fait pas de bruit, parce qu’il ne pouvait pas en faire.

Après quelques années à Paris, vient Apt où il vend « de la peinture comme du poisson à la Criée ». C’est Robelin, un peintre Dijonnais qui lui donne sa chance et lui propose de faire une expo dans une cour en Provence. à partir de là, son rêve prend forme et il sait sa vie définitivement vouée à cet art : « j’ai poursuivi un rêve depuis gamin sans savoir que j’en avais un ». S’enchaînent alors les expériences, les expos, les univers et les rencontres, dont celle avec Françoise Siffrein-Blanc, qui après avoir acheté l’un de ses tableaux dans une boutique, demande à rencontrer l’artiste. Nul ne le sait encore mais de cette rencontre va naître une solide affection que n’érodera pas le temps. à la demande de Skunkdog, Françoise fait une expo chez elle, puis tout s’enchaîne très vite. En une semaine, elle déniche un autre lieu pour exposer et pas des moindres : à la Greenhouse, spot alternatif d’artistes en plein Soho à NYC. Depuis, Skunkdog rêve la grosse pomme jumelée à la cité phocéenne. La rue n’est pas son terrain initiatique. Mais il la connaît bien, il sait comment la regarder pour en faire son laboratoire « dans la rue, la peinture a des formes multiples, elle n’est pas unique : c’est les vandales, les tagueurs, les graffeurs… Marseille est un musée à ciel ouvert, la rue donne tout pour qui sait la regarder ». Parti de l’huile, aujourd’hui il utilise tout pour peindre ce qu’il appelle « son figuratif » : des traits sans concessions et de la couleur, beaucoup de couleurs pour peindre des formes, des personnages, sa ville « je peins Marseille parce que je la connais, je connais ma ville, j’en suis imprégné à fond. Pas besoin d’être ailleurs pour créer, Marseille est bien plus créative que Barcelone, Londres, Berlin ou Paris. C’est pourquoi elle est essentielle pour moi ».

Son art s’exprime dans l’atelier mais il est totalement inspiré de la rue. Sa rencontre avec les graffeurs du NWS à Marseille lui en a ouvert encore plus grand les portes. C’est une voie royale car c’est d’elle et de ses rencontres que sa peinture revêt aujourd’hui tout son sens. Elle lui a permis de revenir « à une réalité » : ne pas se prendre au sérieux, pour « revenir aux fondamentaux : la peinture doit venir des tripes et de l’instinct. Mon pseudo a pris du sens avec eux et ils ont donné pleinement vie à ce que je suis ». Lorsqu’il évoque ces rencontres, son regard se fait plus acéré, son ton plus incisif : « Je veux insister sur le fait que les anonymes de la rue sont de vrais artistes, c’est eux qui donnent vie au street art et le rendent légitime ; moi j’essaie d’en être le témoin ». Il évoque les valeurs d’identité, d’appartenance, de famille, de soutien et de solidarité qui existent entre eux.

Georges Antoun, propriétaire du New Hotel of Marseille, mécène et esthète éclairé, a offert à Skunkdog et au crew Marseillais un superbe écrin de visibilité… Skunk y est demeuré du 15 novembre au 15 décembre. Il a ouvert la voie à d’autres artistes performers comme lui. Et après ?

Skunkdog se voit bien continuer à peindre longtemps, jusqu’à 93 ans, comme Picasso. D’ici là, il y a Marseille 2013 pour laquelle, il n’a qu’un seul souhait : du rose. Après, il partira se mettre au vert.