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Sigolène Vinson, Martigues, terrain de jeu littéraire

Au début du printemps, nous vous parlions de Maritima, le dernier ouvrage de Sigolène Vinson. Un roman choral aussi déroutant que lumineux, qui prend place dans un Martigues fantasmé, à mi-chemin entre rêve poétique et cauchemar pétrochimique. La belle saison s’affirmant, nous avons eu envie de nous replonger dans cet univers qui prend sa forme en été, quand la lumière devient « pure, peut-être trop franche ». L’occasion de demander à Sigolène de nous parler de son travail d’auteur…

 

ToutMa : Sans « spoiler » nos lecteurs, difficile de faire coller Maritima à un genre. Au début, on croit à un récit intimiste, peut-être initiatique, avant qu’il ne change plusieurs fois de forme. Comment, toi, le définirais-tu ?

Sigolène Vinson : Alors là… Au départ, je souhaitais l’intituler Histoires naturelles. Donc, je dirais qu’il est du genre « histoires naturelles », mais « histoires naturelles des hommes », quoique des animaux, ça marche aussi. D’autant plus si nous sommes des « animaux politiques », comme dirait Aristote, qui dans le roman n’est pas seulement un philosophe mais aussi un chat et vice versa. Sinon, j’ai entendu des lecteurs parler de « fable sociale ». Et fable, ça me va.

 

TM : D’ailleurs, tu t’es illustrée aussi bien dans l’autofiction que dans le roman policier, toujours en mélangeant les codes, mais qu’est-ce qui, au moment de te lancer dans un synopsis, te fait pencher d’un côté plutôt que de l’autre ? Quel a été le déclencheur pour Maritima ?

SV : C’est essentiellement Martigues. Les contradictions de son territoire qui dans mon imaginaire devaient forcément déteindre sur ses habitants. Tant de contradictions, industries mêlées à la nature, usines sous la lumière, torchères en bord de mer, devaient devenir les complexités de nos âmes simples. Quand je dis « nos âmes simples », ce sont nos existences, qui avant d’être celles d’êtres mortels dans un univers plus grand que nous sont celles d’êtres au quotidien : comment vivre ? de quoi vivre ? etc. Ensuite, seulement : comment vivre, de quoi vivre, dans un absolu qui nous échappe, habitants d’une galaxie qui va droit vers ce que les astrophysiciens appellent le Grand Attracteur ?

 

TM : La poutargue, les canaux… c’est vrai qu’on se sait à Martigues. Pourquoi as-tu pris le parti de ne pas la nommer ?

SV : Je ne la nomme pas ou la nomme Maritima, du nom de la ville gallo-romaine qui lui a précédé, parce que c’est elle sans être elle, c’est elle fantasmée, tordue aux besoins de l’histoire, magnifiée ou abîmée pour une musique ou une ambiance, pour coller aux protagonistes et à ce qui leur arrive. Parce qu’elle est le personnage principal du roman mais aussi, et peut-être seulement, le décor dans lequel tous les autres évoluent. 

 

TM : On a l’impression que tu joues en permanence avec les attentes du lecteur. Quel jeu narratif cela te permet-il de mettre en place ?

SV : Avant de jouer avec les attentes du lecteur, je crois surtout que je le fais attendre. Mes romans sont toujours lents au démarrage. Parfois même, ils ne démarrent jamais. La langueur et la lenteur sont un peu mon crédo, mais souvent, et j’ignore pourquoi, il faut que le drame surgisse. Peut-être parce qu’à la fin, tout le monde, de toute façon, disparaît…

 

TM : Cette tension que tu ménages est portée par un jeu constant sur les contrastes, que ce soit dans les motifs que tu mets en avant ou dans ton style. Est-ce un moteur d’écriture majeur pour toi ?

SV : Sûrement. Avoir une écriture soutenue pour ensuite tout envoyer balader. Comme un devoir bien rédigé sur lequel on laisse des taches d’encre. On pouvait, je crois, quand j’étais à l’école, avoir des points en moins pour copies mal soignées ou sales. Parfois, je faisais une grosse tache pour cacher une faute d’orthographe. La prof ne se faisait pas avoir et j’obtenais rarement la moyenne. Les passages lyriques permettent de mettre en relief les passages proches de l’oralité et vice versa (comme Aristote qui est un chat et un philosophe…). Les uns donnent de l’importance aux autres et inversement. Cela rappelle aussi les différents niveaux de langage que nous pouvons avoir, la façon que nous avons de parler en société, celle que nous avons en famille, celle que nous avons dans l’intimité amoureuse…

 

TM : As-tu le sentiment que c’est le journalisme qui t’a formée à décortiquer les mécanismes qui régissent le monde ?

SV : Je ne suis pas vraiment journaliste. Je n’ai pas été formée à ce métier. Je le suis devenue parce que j’ai écrit un premier roman* qui a plu à Patrick Pelloux, qui m’a fait rentrer à Charlie Hebdo. Je dirais même que je n’écris pas du tout comme une journaliste, je suis peu factuelle.

 

TM : Tu as repris, tout de même, une expérience à laquelle s’est réellement soumise la rédaction, l’analyse des pesticides… **

SV : Ça, c’est vrai. L’expérience consistait à donner une mèche de cheveux pour déterminer les taux de pesticides dans nos organismes. Il s’est avéré que j’avais deux produits interdits depuis plus de vingt ans en France…

 

TM : Ton prochain livre est-il déjà en chantier ? Peux-tu nous dire de quoi il parlera ?

SV : J’ai une vague idée… Peut-être une histoire d’amour. Ce que jusqu’à présent je n’ai pas été capable d’écrire.

 

* J’ai déserté le pays de l’enfance, éditions Plon
** Pour en savoir plus, voir l’initiative  « Nous voulons des coquelicots » _nousvoulonsdescoquelicots.org

Maritima de Sigolène Vinson
aux éditions de l’Observatoire – 304 pages, 20 €