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La Splendeur des égarés de Sylvie Cohen

C’est la lumière qui attrape le lecteur, d’abord, dans La Splendeur des égarés. La lumière marseillaise, sans aucun doute, ville où l’auteure a vécu de 1988 à 2011, près de Notre-Dame de la Garde. Sylvie Cohen* conjugue cette lumière à celle de l’Italie, pour une histoire pleine « de bruit et de fureur », pour reprendre les mots de Macbeth. Puis la lumière se transforme en brasier : un adolescent se donne la mort, de la manière la plus effrayante qui soit. Le feu. Lumières et ténèbres, celles dans lesquelles il plonge ses proches, et surtout sa mère, Héléna. Comment accepter la mort de son enfant ? C’est impossible, elle s’y refuse donc, ce n’est pas lui dont le corps s’est consumé sur la Piazza del Popolo, c’est un autre. Il a disparu, elle le cherchera donc, indifférente à tout et à tous, persuadée qu’il s’agit d’une fugue. Elle s’en persuade en tous cas… Ce parcours de parent orphelin, c’est aussi celui de l’autre personnage principal, Nathan. L’eau a eu raison de sa fille Marie, qui s’est noyée, suicide ou accident. Nathan a croisé Héléna à Rome, a essayé de l’aider. Mais il s’adressait à une ombre. Désormais son double de chagrin il sait qu’elle seule peut le comprendre, il part à sa recherche. Cette double quête de Nathan et d’Héléna, c’est celle du sens de la vie, quand elle vous a pris ce que vous avez de plus précieux, votre enfant. Que vous reste-t-il ? « On ne s’en sort jamais. On fait semblant, comme au poker », déclare à Nathan un des personnages qu’il croisera lors de son enquête. Nathan veut savoir qui est Héléna, la retrouver, partager son chagrin, l’aimer peut-être ? Héléna veut se reconstruire, de casting en audition elle cherche des rôles pour être à jamais une autre. Ou pour retrouver la femme qu’elle était avant d’être la mère qu’elle ne sera plus.

Sylvie Cohen pense en noir, mais son écriture abrupte, tout en phrases courtes et définitives, secoue le lecteur, l’empêche de compatir au chagrin de ses personnages, le garde en vie. À la fois complice, juge et partie, elle parvient à nous attacher immédiatement aux destins croisés de ses deux héros, qui nous ressemblent dans leurs contradictions, leur humanité, leur tristesse, mais aussi leur énergie de vivre jusque dans le pire des deuils. Non, il n’est pas question de céder à la mort, fut-elle celle d’un enfant. Oui, le soleil méditerranéen chauffe encore, il irradie, même, l’air est encore tiède et Nathan « respire le parfum de la terre et de l’herbe par la vitre baissée ». 

Depuis son premier roman, Reno, Nevada, paru en 1988 aux Éditions Baleine, Sylvie Cohen a fait siennes les règles de l’écriture efficace. Sa prose est pleine de colère, de démesure, de sincérité. Les souffrances de ses héros nous touchent, leur consolation sera la nôtre. Quant au salut, peut-être n’existe-t-il pas. Mais qui nous refuserait le droit de le chercher ?

* Sylvie Cohen, prix du Roman policier de l’académie de Marseille en 2006 pour Dernier Combat devient la même année chroniqueuse littéraire pour le quotidien La Marseillaise. Ayant vécu dans plusieurs villes du Sud, son œuvre tout entière garde la marque d’une atmosphère provençale.

Texte _Anne Martinetti