La sélection littéraire de la rédaction – décembre 2019
Musée Granet, cahier d’activités
La maison d’édition aixoise Objets de papier a vu le jour en 2016, après que Patricia Manechez et Natalia Leschi se sont retrouvées autour d’un fétiche commun (du genre que l’on partage sans honte), celui du papier. Du beau papier, recyclé qui plus est. Et tant qu’à faire, il s’agit d’imprimer de belles choses dessus ! Le dernier-né de la maison est un cahier d’activités coréalisé avec le musée Granet. Les deux comparses (la première est éditrice, la seconde, graphiste) ont imaginé l’histoire d’Antoine et Léa, frère et sœur, qui parcourent le musée aux côtés du fantôme d’un croisé imaginaire, inventé par Gaspard de Gueidan au xviiie siècle. En chemin ils rencontrent des épreuves (mots mêlés, points à relier, énigmes, etc.) qui sont autant de prétextes à l’exploration des collections du musée. Aussi malin que ludique !
60 pages, Objets de papier, 13,50 € – Édition bilingue français-anglais
Charlie Fisher et le gang des Whiz, Colin Meloy et Carson Ellis (illustrations)
Marseille, 1961, Charlie Fisher, fils de l’ambassadeur des États-Unis, s’ennuie ferme sur un banc de la place Jean-Jaurès. Il griffonne des petites histoires dans son cahier quand il remarque le manège, aussi étrange que fascinant, d’un groupe d’enfants dans la foule. Peu de temps après, le jeune garçon s’avise de la disparition du luxueux stylo qui était pourtant dans sa main l’instant d’avant… C’est l’œuvre d’un gang de pickpockets ! Un groupe d’enfants qu’il aura tôt fait d’intégrer, avide de donner à sa vie bien rangée un tour plus aventureux. Ce roman de Colin Meloy est une petite pépite de littérature jeunesse, avec tout ce qu’il faut d’humour, de coups de théâtre, de personnages hauts en couleur et de fantaisies narratives. Les illustrations du Marseille des années 1960, par Carson Ellis, ajoutent au charme un brin désuet (juste ce qu’il faut) de ce roman d’apprentissage malin, qui a la bonne idée de croire en l’intelligence des enfants.
412 pages, Pocket Jeunesse, 17,90 €
Le Sillon, Valérie Manteau
Prix Renaudot 2018, Le Sillon de Valérie Manteau (qui vient de sortir au format poche) est de ces livres qui vous invitent brutalement à vous décentrer. La figure ambivalente de la narratrice (perdue quelque part entre fiction, reportage et confidence), partie depuis Marseille rejoindre son amant à Istanbul, nous entraîne avec elle dans un récit intime d’une intensité et d’une sincérité rares, un vrai « coup de poing dans la gueule », comme l’aurait certainement dit Cavanna, qui fut l’un des collaborateurs de la romancière. Alors qu’elle enquête sur l’assassinat de Hrant Dink (journaliste et écrivain turc d’origine arménienne), la jeune femme s’engage dans un maelström d’interrogations et de contradictions qui nous font ressentir avec force la violente confusion dans laquelle baigne la Turquie moderne. Une fois sa dernière page tournée, difficile de dire si le livre est un hommage vibrant, et tourné vers l’avenir, à tous les esprits libres victimes de l’obscurantisme qu’il évoque ou l’image vaporeuse d’une Turquie qui n’est déjà plus que le lambeau d’un souvenir. Un livre déchirant mais nécessaire.
240 pages, Le Tripode, 9 €
Une table, au Sud, Ludovic Turac, Anne et Jean-Philippe Garabédian
Pour peu qu’on connaisse sa cuisine, on voudrait connaître son histoire, et vice versa. Ça tombe très bien car le premier livre dédié au jeune chef étoilé Ludovic Turac mélange les deux avec gourmandise, sans doute parce que l’éditeur et les auteurs ont bien compris une chose essentielle : la cuisine, c’est toujours la rencontre entre un savoir-faire technique et une sensibilité singulière, née de la mémoire gustative d’un chef. Aussi Ludovic Turac nous raconte-t-il, par exemple, comment, en devenant père, il a naturellement eu envie d’intégrer des saveurs arméniennes dans ses plats, jusque-là très classiquement français. L’ouvrage compte près de vingt-cinq recettes résolument méditerranéennes, déclinées en deux versions : façon « cuisine maison » et façon « restaurant étoilé ». Comme ça, tout le monde s’y retrouve !
156 pages, La Fabrique de l’épure, 24 €
Sur la piste de Sherlock Holmes, Anne Martinetti
Quand Anne Martinetti n’écume pas les archives du Sud pour ToutMa, elle se lance à la poursuite des grands romanciers britanniques, avec une prédilection marquée pour les auteurs de polars. Cette fois-ci, c’est la vie d’Arthur Conan Doyle (qu’on imaginait plus casanier) qu’elle passe en revue. Ou bien est-ce celle de Sherlock Holmes ? Il faut dire que, fait unique dans la littérature, l’aura du personnage a tellement supplanté celle de son créateur qu’il s’est toujours trouvé des gens pour le croire plus réel. On comprend mieux l’ambiguïté quand on découvre combien les aventures du détective se sont nourries des voyages (Indes, états-Unis, Royaume-Uni…) et autres expériences singulières de leur auteur. Un ouvrage d’une grande érudition, richement illustré, à mi-chemin entre le livre de voyage et la biographie, un instantané étonnant de l’époque victorienne.
192 pages, Hugo Image, 24,95 €
La Ballade du soldat Odawaa, Cédric Apikian et Christian Rossi
On a beau avoir grandi à Marseille, c’est parfois ailleurs qu’on trouve son inspiration. L’ailleurs pouvant être un lieu aussi bien qu’une époque, voire les deux. En l’occurrence, c’est une histoire méconnue de la guerre de 1914-1918 qui a inspiré Cédric Apikian, celle d’un contingent de tireurs d’élite amérindiens venus servir en France avec les troupes canadiennes. À partir de ce fait historique, l’auteur imagine un scénario qui mêle chasse au trésor et duel de snipers, avec en arrière-plan une réflexion très sombre sur l’héroïsme et le sort des oubliés dont toute guerre comporte son lot. Avec, au dessin, Christian Rossi, qui a fait ses armes dans le western auprès de Jean Giraud (et il n’y a pas meilleure école), on obtient des scènes d’action magistrales (et très violentes), avec un coup de théâtre final judicieusement servi par des astuces graphiques et de mise en scène très adroites.
88 pages, Casterman, 19 €
Chic ! le guide qui donne du style
Lorsque deux anciennes rédactrices de mode se rencontrent et échangent leurs idées personnelles sur le style, cela donne un recueil de bons conseils pour avoir de l’allure en prenant de l’âge, en changeant de morphologie ou même de job ! Expertes en mode, Christine Lombard et Lucille Renié partagent leur savoir et leur art avec toutes celles qui veulent faire évoluer leur style, recycler leur garde-robe et reconnaître les bons classiques. Elles jouent même les mannequins, sans artifices, et photos sans retouches en prime, pour permettre à toutes de s’identifier et s’envisager sans complexes… Pour que professionnalisme, maturité et féminité riment avec chic (en toute simplicité) !
208 pages, Le Cherche Midi, 25 €