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Kharmohra, l’Afghanistan au risque de l’art

Si son nom est désormais tristement associé à la guerre, l’Afghanistan a pourtant connu la gloire et l’opulence par le passé. Incontournable de la route des Indes du temps des Beatles, le pays a longtemps été une terre de pèlerinage pour les hippies, qui s’arrêtaient bien volontiers le long de ses chemins rocailleux pour apprécier la beauté de ses paysages bruts (connus pour leurs champs de pavots à l’origine de l’opium) et l’hospitalité de ses habitants. Désormais ravagé par des décennies de guerre, entre la lutte contre l’invasion soviétique et le régime des talibans, ce pays montagneux à la culture millénaire vit au rythme des bombes, des attentats, et du fondamentalisme religieux. À tel point que le monde en a presque oublié que la vie y poursuit son cours et que la population afghane, jeune, rêve de moyens d’expression et de liberté. 

Sous le haut-commissariat de Guilda Chahverdi, coordinatrice de projets culturels et artistiques et ancienne directrice de l’Institut français d’Afghanistan, avec la scénographie d’Anaïde Nayebzadeh et le concours scientifique d’Agnès Devictor (de l’université Panthéon-Sorbonne), le Mucem a souhaité donner la parole à toute une génération d’artistes, nés après 2001 mais oubliés, étouffés sous les bombes de la guerre et le diktat du régime taliban. 

C’est donc bel et bien une exposition spéciale à plus d’un titre qui nous est proposée. Par son objet tout d’abord : un pays rarement exposé sous un angle autre que celui des gros titres des journaux. Par son thème, ensuite, car il s’agit tout à la fois de mettre en lumière une génération d’artistes qui n’ont d’autre fenêtre d’expression que celle des événements culturels soutenus par des institutions d’envergure, et de s’interroger sur la naissance d’un nouveau courant artistique profondément enraciné dans la guerre. Comment la guerre influence-t-elle l’art ? Comment l’art peut-il s’exprimer face à un gouvernement qui lui est hostile ? Quelles sont les formes d’expression qui persistent malgré tout ? Quels messages véhiculent-elles ? Autant de questions que l’exposition soulève, en y apportant quelques réponses, certes, mais sans dogmatisme, en laissant le visiteur libre de se forger son propre avis. 

Dans un grand espace obscur où retentissent les « sirènes de Kaboul » et sont projetés divers films amateurs tournés par les Afghans eux-mêmes, vous serez saisis par le réalisme des œuvres et par la souffrance qui semble s’en dégager. Les Afghans, souvent mis en scène dans l’exposition, arborent un regard qui traduit leur insécurité permanente, mais aussi leur appétit de vivre. 

À travers la sélection d’œuvres de onze artistes, dont la plupart vivent encore en Afghanistan, le quotidien de la population se laisse entrevoir, entre peur et dépit. Kabus, de Mahdi Hamed Hassanzada, représente le visage de l’effroi, yeux écarquillés mais visage sans bouche, d’où les mots ne peuvent sortir. Latif Eshraq, lui, préfère l’emploi du style cubiste pour dépeindre, dans d’immenses toiles qui rappellent le Guernica de Picasso (Donbal et Farkhunda), les exactions commises par le régime des talibans sur les femmes et les mécréants. Femmes qui, d’ailleurs, ne sont pas oubliées, puisque toute une réflexion sur le tchadri, vêtement qui les soustrait à la vue des hommes, est proposée et mise en scène. 

Une occasion singulière, fidèle à l’esprit méditerranéen et moyen-oriental du Mucem, de (re)découvrir un pays perdu, loin des mythes de l’orientalisme, qui n’a plus que l’art et sa brutalité pour se faire entendre du reste du monde. 

Jusqu’au 1er mars 2020 : tous les jours 11h à 18h sauf le mardi

Mucem
7 promenade Robert Laffont
Marseille 2e _www.mucem.org