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Kacimi, une transition africaine (1993-2003) jusqu’au 3 mars 2019

Fidèle à son esprit de synthèse et d’ouverture sur les arts et civilisations du bassin méditerranéen, le Mucem accueille certaines des œuvres les plus magistrales de l’artiste marocain Mohamed Kacimi, dans le cadre de l’exposition « Kacimi – 1993-2003, une transition africaine ». Il vous faudra, pour admirer ces gigantesques œuvres, emprunter la fameuse passerelle reliant le toit-terrasse du Mucem au bâtiment Georges Henri Rivière, près du fort Saint-Jean. En vous plongeant dans l’immensité de la Méditerranée, vous trouverez certainement un avant-gout de ce qui vous attend. Dès l’entrée, le ton est donné : dans cette immense salle dotée d’une grande hauteur sous plafond, le scénographe Sylvain Massot a recréé une ambiance africaine, et, plus particulièrement, saharienne : musique de fond évoquant le désert, immenses œuvres juxtaposées, occupant, souvent, tout un pan de mur ou jouxtant le toit du bâtiment.

Cette immensité, qui caractérise l’ensemble des œuvres présentées, est à l’image de l’infinitude du Sahara et de la fascination que ce dernier a exercée sur l’artiste Kacimi, né au Maroc, francophone, engagé et rebelle décomplexé. Inspirateur de nombreux jeunes artistes maghrébins aujourd’hui internationalement reconnus, Kacimi, à l’image du pays qui l’a vu naître, coincé entre l’Atlantique, la Méditerranée et le Sahara, a longtemps oscillé entre l’attrait de l’Occident et la fascination du désert. Sa « période africaine » (comme d’autres connurent leur « période bleue »), marque l’apogée de son art (et de sa vie, puisqu’il disparaît en 2003) en matérialisant une rupture avec l’art occidental et ses codes artistiques (ceux de l’école de Paris, notamment). L’attrait du désert, de son immensité, eurent sur Kacimi un effet de subjugation. Les œuvres produites à cette époque marquent, alors, un tournant dans sa carrière : panneaux et fresques murales évoquant des couleurs chaudes (dont une de plus de 11 mètres de long sur 3 mètres de haut), le sable brûlant, le calme d’une oasis perdue dans les dunes, et le temps qui n’en finit pas de s’étirer, dans la torpeur chaude et aride du Sahara.

Au-delà de la poésie qu’inspire son œuvre, c’est un véritable engagement politique et social qu’il entend, au travers de son art, matérialiser (la représentation des files d’attentes de migrants en partance pour l’Occident, par exemple). Engagement envers l’Afrique, la Méditerranée, son continent, son pays et, plus généralement, envers le monde arabe dont il est issu et qui connaît, à la fin des années 1980 de profonds bouleversements (la guerre civile algérienne fratricide, par exemple). Ce n’est pas un hasard si la « transition africaine » commence, véritablement, à cette période : dans un monde arabe où les rêves d’Occident se brisent, plus de trente ans après les indépendances, sur les rochers abrupts de Gibraltar. L’artiste part alors à la recherche de son « africanité » : une quête de soi partagée par de nombreux Maghrébins aujourd’hui. Ce faisant, Kacimi tend à faire de son art (et, par extension, de son pays), un trait d’union entre Orient et Occident.

L’œuvre présentée prend tout son sens face aux mutations d’un monde arabe en transition depuis les Printemps de 2011. Son caractère avant-gardiste préfigurait, déjà, le soulèvement des peuples étouffés par la dictature et l’impossibilité d’exprimer, entre autres choses, leur art.

MUCEM
7 promenade Robert Laffont (esplanade du J4), Marseille 2e

 

Photo en une _La route de l’esclave, Benin 1994 ©Archives Kacimi
Texte _Romain Bony-Cisternes