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Bergers, du Canada à la Provence

Pour son nouveau film, la cinéaste québécoise Sophie Deraspe quitte la Belle Province pour poser sa caméra en Provence. Un changement de décor qui se révèle payant et qui offre un nouveau regard sur le métier de berger. Une œuvre sensible et puissante portée par le remarquable Félix-Antoine Duval.

Il y a tout d’abord un livre. Dans son roman autobiographique D’où viens-tu berger ? (Éditions Actes Sud), l’écrivain Mathyas Lefebure évoquait un changement de vie important. Celui qui le voyait renoncer au confort de son statut de cadre dans la publicité à Montréal au profit du difficile quotidien de berger en Provence. Une reconversion qui ne fut pas vraiment un long fleuve tranquille. Car le métier d’éleveur s’est surtout révélé éreintant et précaire. Il n’est pas facile de s’y faire une place. Et une fois que cette place est trouvée, encore faut-il pouvoir la garder.

Cette histoire vraie, celle d’un homme qui a vécu en alpage pendant dix ans, est l’enjeu du nouveau film de la cinéaste québécoise Sophie Deraspe. Après sa réécriture d’un mythe fondateur de la tragédie grecque dans son impressionnant Antigone (2019), la réalisatrice adapte ici une nouvelle œuvre littéraire et en tire un film puissant, oscillant entre documentaire et fiction. Tourné entre Arles, la Provence et les Alpes, Bergers est un film qui surprend tout d’abord par sa douceur et la manière dont il s’intéresse à l’univers du pastoralisme. Sophie Deraspe filme des personnages empreints de bienveillance, trouvant auprès des animaux un lien qu’ils n’avaient plus avec leur entourage. D’une belle délicatesse, sans jamais tomber dans une quelconque affèterie, le long-métrage se révèle également âpre sur bien d’autres aspects. Malgré sa poésie et son romantisme (notamment avec l’histoire d’amour entre les deux personnages principaux), le récit n’élude pas les nombreux écueils du métier de berger. Pénibilité, précarité, manque de considération… Telle une documentariste confirmée (elle a d’ailleurs tourné un documentaire multirécompensé, Le Profil Amina, en 2015), Sophie Deraspe adopte avec ce film un style naturaliste et dépouillé qui s’autorise à certains moments quelques touches spectaculaires, comme lors d’un déluge apocalyptique en pleine montagne.

Brillante directrice d’acteurs, la cinéaste a confié le rôle de Mathyas au jeune Félix-Antoine Duval. Surtout connu au Québec pour ses rôles dans différentes séries, le comédien impressionne en néo-berger dont les idéaux laissent peu à peu la place aux doutes. À ses côtés, la discrète Solène Rigot tire également son épingle du jeu en citadine qui décide de se tourner vers la ruralité. Beau et intense, à l’image des magnifiques paysages provençaux qui servent ici de décor, Bergers est un film qui touche presque au sublime. Ce qui le rend donc particulièrement unique. ALF

Au cinéma le 9 avril
Réalisation et scénario : Sophie Deraspe, avec la collaboration de Mathyas Lefebure d’après son roman D’où viens-tu berger ? (Éditions Actes Sud)
Avec :  Félix-Antoine Duval, Solène Rigot, Guilaine Londez, Brunon Raffaelli, Aloïse Sauvage…