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Ora-Ïto, le petit prince de Marseille

Rencontre avec un autodidacte absolu : 

Ora-ïto est un audacieux à qui tout sourit… 

Depuis le coup médiatique de ses objets imaginaires aux célèbres logos détournés, il y a vingt ans déjà, il a pris le temps d’imposer sa signature dans de nombreux domaines. Créateur ubiquiste, le designer marseillais aime par-dessus tout aller là où on ne l’attend pas. Si ses collaborations sont multiples et fécondes, c’est peut-être parce qu’il a le sens du collectif : il aime à présent donner un sens social à sa créativité et travaille notamment beaucoup sur la notion de mobilité. Coup de chance ou effet de la maturité, Marseille est en ce moment son terrain de jeu. C’est d’ailleurs du haut de sa vigie, au MAMO, qu’il s’emploie à exposer l’art dans sa valeur originelle, au sommet de la Cité radieuse, son perchoir de « superhéro ». 

« C’est le temps que tu as perdu pour 

ta rose qui fait ta rose si importante » 

Nombreux sont ceux qui ne saisissent pas la complexité d’Ora-ïto, pseudo officiel du designer autant que label de ses réalisations, le nom évoque d’abord le Japon par sa sonorité et une image futuriste par association avec son univers high-tech. Lui-même possède le charme et la beauté juvénile d’un personnage de manga. Ses premières créations sont futuristes et affichent une élégance reconnaissable. À 20 ans, il voulait inonder le monde de ses objets. Très vite, il sera la coqueluche de grandes marques, telles Adidas, Toyota, Guerlain, Levi’s ou encore Danone, toutes désireuses de s’approprier sa créativité d’avant-garde. Les décorations semblent alors tomber du ciel. Lorsqu’on évoque ses débuts, Ora-ïto se demande comment il a pu affronter ce monde hostile, lui alors si jeune et si frêle d’apparence. Mais on dit souvent que l’insouciance de la jeunesse est une grande force. À cela il acquiesce. 

« Droit devant soi, 

on ne peut pas aller bien loin » 

Aujourd’hui le célèbre designer est beaucoup plus réservé, aimant trier sur le volet les effets de sa notoriété. Lorsqu’on l’interroge sur son mode de fonctionnement créatif, il précise qu’il va toujours vers l’inconnu. Ora-ïto se construit sur des défis. En 2018, la presse s’est enflammée autour de son concept d’hébergement nomade, Flying Nest, conçu à partir de matériaux bruts et naturels et réalisé pour AccorHotels. L’exploit est d’autant plus remarquable que le concept hôtelier a été installé, l’hiver dernier, au pied des pistes d’Avoriaz 1800… 

La même année, le « petit prince » du design s’associe avec Thierry Marx, chef étoilé à l’originalité réputée, pour créer Marxito, un fast-food où l’on déguste un sandwich dorayaki japonais, revisité avec les nouveaux codes de la nutrition, dans un écrin post-moderne rose poudré, au coeur des Champs-Élysées. 

À Nice, l’an dernier, c’est en rouge et noir qu’il a créé le tramway, répondant ainsi au désir des habitants de la cité. 

« S’il vous plaît… 

dessine-moi un métro ! » 

Il paraît qu’ïto, en langage sioux, signifie « construire l’imaginaire ». Le bien nommé explique ainsi son enfance : « J’ai grandi auprès d’artistes majeurs et j’ai toujours été entouré d’objets et d’oeuvres en tous genres… J’ai pu mesurer très jeune l’univers de la création. C’est tout un monde qui s’ouvrait à moi. » Et pour construire ce qu’il imagine, Ora-ïto sait aujourd’hui s’entourer des meilleurs. Avec le groupe Alstom, il dessine un nouveau métro pour Marseille, son berceau. Il a voulu pour sa ville une approche apaisante et sensorielle de la mobilité urbaine, avec une certaine idée de la douceur de vivre en Méditerranée. Bienvenue dans un monde meilleur ? Pas avant 2023.

La ville s’ouvre encore davantage à son empreinte puisqu’il a été choisi avec l’entreprise STOA pour redessiner la place Castellane. « Je cherche à faire quelque chose de fort mais où chaque élément doit être en relation avec le reste, s’y intégrer et le sublimer ! C’est ma ligne directrice », nous confie-t-il. Marseille est depuis longtemps son terrain de jeu favori. D’autres projets sont encore dans ses tiroirs… 

« Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » 

Marc Simoncini est son ami. Le multientrepreneur rêvait de réaliser quelque chose avec lui depuis longtemps et lui a dit : « Je veux faire le plus beau vélo du monde, un vélo 2.0, électrique, et c’est avec toi que je veux le faire. » Encore un terrain inexploré pour le designer qui, comme pour chaque chose, se met alors dans la peau d’un acteur qui se prépare pour un rôle. Une mise en condition s’est imposée. Le résultat est très pur. Angell Bike est un vélo simplifié qu’il a su ramener dans la philosophie du design. Ora-ïto aime travailler sur des objets intemporels, concluant ainsi : « Si l’objet est capable d’exister sans être démodé ou daté, c’est gagné. » 

Aujourd’hui, toujours dans le souci du partage, il s’interroge sur la portée collective de son travail sur la mobilité et l’environnement : « Notre métier se concentre maintenant sur l’amélioration du contexte de vie et mène une réflexion sur la façon dont on peut réparer ce qui a été fait par le passé. On ne peut plus faire le métier de designer comme je l’envisageais à 20 ans. » 

« On ne voit bien qu’avec le coeur. 

L’essentiel est invisible pour les yeux. » 

La Cité radieuse. À Marseille, on est fier de porter ce chef-d’oeuvre de l’architecture moderne qu’on surnomme familièrement le « Corbu ». Ora-ïto n’échappe pas à cette règle et c’est fièrement qu’il a installé son MAMO, haut lieu de création artistique, sur le toit le plus célèbre de notre monde. Depuis 2013, il y programme avec le coeur tous les artistes qui le fascinent (contribuant au passage à l’année de la culture). Ainsi Daniel Buren qu’il aime tant, avec qui il a signé l’hôtel Yooma à Paris, mais aussi Xavier Veilhan, Dan Graham, Felice Varini, Jean-Pierre Raynaud, Olivier Mosset et plus surprenant, Alex Israel et, son spectre de Batman balayant le ciel de Marseille la nuit. Et Ora-ïto de confier : « J’aime aussi les choses que l’on peut aimer sans avoir à les expliquer… ».