Marseille
25 Apr, Thursday
5° C
TOP

GILLES MASSOT « L’ESPACE ENTRE LES CHOSES », espace-temps suspendu

Pour le dire vite, Gilles Massot, c’est un genre de Nicolas Bouvier en version « arty » : infatigable voyageur avec une prédilection pour le continent asiatique, humaniste amoureux des regards croisés et grand boulimique d’expériences humaines, porté par une inexpugnable fringale d’expérimentations plastiques. La fondation Manuel Rivera-Ortiz, à Arles, que l’on adore retrouver chaque année aux Rencontres internationales de la photographie, inaugure avec l’exposition qui lui est consacrée un nouveau modèle de programmation culturelle. Elle sera dorénavant ouverte toute l’année et on s’en réjouit d’avance.

Ces voyages qui forment la jeunesse

On découvre donc avec enthousiasme Gilles Massot, ce photographe-plasticien bien mieux connu à l’international qu’il ne l’est dans le Sud, dont il est pourtant originaire. C’est en effet à Marseille que dans les années 1970 il se forme au dessin, puis à la photographie et à l’architecture, trois disciplines dont on retrouve l’influence croisée dans ses œuvres. À l’époque, il vit dans un appartement de la rue Sainte que sa coterie d’amis, étudiants-artistes, surnomme le « donjon », en raison de sa proximité avec l’abbaye Saint-Victor. Déjà ses œuvres sont empreintes de son goût pour le mélange des genres. Il associe photographie argentique et dessin, tout en jouant sur la réduplication de l’image, structurant ses ensembles graphiques comme des œuvres architecturales (Time Frame). Son utilisation de l’encre de Chine résonne alors comme un appel, une prémonition de sa trajectoire à venir. Dès les années 1980, il part explorer l’Orient, voyageant au Japon, au Tibet, en Inde, en Iran ou encore à Singapour. Plus artiste que reporter (quoique l’un n’exclue pas l’autre), il cherche, à l’instar de Cartier-Bresson, à capter dans ses photographies de rue des « instants décisifs », saisis à la volée, sans toutefois s’interdire de réaliser des portraits, plus posés.

Asian Eyes Chronicles

L’expérimentation plastique

Mais si son œuvre fait la part belle à la spontanéité de la rencontre, elle est également riche d’expériences qui impliquent une démarche artistique d’atelier. Dans les années 1980, il réalise et expose à Singapour des « photos plasticiennes », qui tiennent à la fois du documentaire et de la retouche graphique, notamment avec la série Singapore from black and white to colour.

Singapore from Black and White to Colour, 1985

L’instantanéité se combine avec un travail de recomposition, de remise en perspective, faisant toujours écho à la sensibilité architecturale de l’artiste, qui continue de faire évoluer ses techniques de collages ou de superpositions. On pense notamment aux œuvres surréalistes dans lesquelles il recombine des clichés d’immeubles pour faire émerger des bâtis imaginaires, qui n’en demeurent pas moins crédibles, et font écho à la densification historique de Calcutta (années 1990).

Les façades imaginaires de Calcutta, 1990

L’exposition a fait le choix de la rétrospective, présentant exhaustivement le travail de l’artiste selon une certaine linéarité chronologique. C’est toujours un parti pris pertinent quand il s’agit de faire découvrir une œuvre. Mais ce qui nous frappe et que met parfaitement bien en exergue la scénographie, c’est la permanence de questionnements, de motifs et de techniques qui, tout en s’affirmant et en s’affinant au fil des ans, émergent très clairement comme un fil rouge, présent dès les prémices du parcours artistique de Gilles Massot. Un fil d’Ariane toujours utile au voyageur qui arpente des sentiers neufs sans jamais véritablement perdre son chemin.

Le technicien humaniste

Impossible de considérer les travaux de Gilles Massot sans penser au grand hiatus de l’histoire accidentée du droit d’auteur et de la photographie. Le droit, qui comme chacun sait commet bien des erreurs et procède par tâtonnements plus ou moins heureux, s’est longtemps trompé sur la photographie, considérant que c’était un travail de technicien et non d’artiste. Gilles Massot apparaît comme un grand technicien, mais ce qui est particulièrement prégnant dans son travail, c’est que le recours à des outils techniques est toujours un moyen de considérer ses sujets avec une sensibilité tout artistique ! Dans la série Les Anges passent, consacrée au quartier rouge de Singapour, la retouche numérique est une réponse de l’artiste au caractère trop cru de ses premiers clichés. En les retravaillant via Photoshop et en jouant sur leurs caractéristiques d’impression, il leur donne un aspect lithographique qui les éloigne d’un voyeurisme initial qui lui déplaisait et qui pouvait apparaître comme un manque de respect vis-à-vis des filles.

En fin de compte, que l’on parle de ses dessins ou de ses photographies, ce qui nous touche et nous séduit le plus dans l’œuvre de Gilles Massot, c’est peut-être avant tout cette espèce de tendresse qui toujours transparaît, dans des sourires renvoyés en miroir au photographe par les visages qu’il croise, dans un trait gracieux, dans de discrètes notes d’humour et plus généralement dans un rapport au monde construit sur la notion d’ouverture.

Images mouvantes, réalités bousculées, 2002

FONDATION MANUEL RIVERA-ORTIZ
JUSQU’AU 28 MAI
18 rue de la Calade, Arles
www.mrofoundation.org